La Tavola est devenue canadienne

Cette semaine nous allons discuter avec Caroline di Cocco de ses aventures pour préserver l’histoire, la langue et la culture de gens qui représentent l’un des plus grands groupes d’immigrés au Canada : les Italo-canadiens.

Les Italiens représentent un large pan de l’histoire de l’immigration canadienne. Lors du recensement de 2011, 1,5 millions de Canadiens, soit 4,6% de la population totale, ont déclaré avoir un héritage, au moins partiel, italien. Les Italiens qui sont venus, et continuent de venir au Canada, avec leur langue (ou plutôt leurs langues comme on le verra plus tard), font maintenant intégralement partie du paysage linguistique canadien. C’est le travail de Caroline di Cocco et d’autres gens à travers le Canada, que de préserver les histoires, les expériences et la langue de ces gens. Pas seulement pour leurs descendants mais pour tous les Canadiens.

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[En faisant du vin à la main]

MI: Qu’est-ce qui vous a amenée à vous impliquer dans ce travail de documentation de l’héritage des Italiens au Canada ?

CdC : J’ai commencé à récolter de la documentation pour l’histoire de La Présence italo-canadienne au milieu des années 80. J’avais essayé de trouver des éléments historiques indiquant la présence italienne dans la région de Sarnia en Ontario. En regardant les écrits sur l’histoire de la ville, la chose la plus proche du sujet que j’ai pu trouver est qu’il y a eu une augmentation de la population italienne dans les années 50 à cause de l’augmentation du nombre de raffineries. Je me suis mise à suivre les pistes suivantes : comment la présence italo-canadienne a-t-elle changé la communauté de Sarnia-Lambton, et comment les Italiens ont-ils, eux, changé en se créant un nouveau foyer et une nouvelle vie dans cette région ? J’ai eu la profonde impression que si on ne prenait pas la responsabilité de faire des recherches et de créer des archives sur les histoires qui constituent la présence italo-canadienne, ces histoires seraient perdues à jamais pour les générations futures.

MI: Racontez-nous l’histoire de l’immigration italienne. Quand les Italiens sont-ils venus au Canada ?

CdC : L’histoire de l’immigration italienne comporte beaucoup de complexités qui pourraient remplir des volumes de livres. Pour vous répondre simplement, je peux évoquer brièvement deux aspects. Ces histoires se sont construites sur des luttes, des sacrifices, la survie, la débrouille, le travail, l’adaptation et le succès ; et elles ont aussi débouché sur la création d’une identité unique et différente de celle des Italiens d’Italie. Tout cela s’est créé parce que les Italiens se sont accrochés à leur propre identité et à leurs valeurs tout en recréant en même temps cette identité dans le contexte canadien. L’histoire de l’immigration à Sarnia Lambton a été mise à l’écrit dans un livre One by one… Passo dopo passo. Dans l’introduction, la docteure Gabriele Scardellato a écrit : « à partir de la fin des années 1870 jusqu’au début des années 1980 un total d’environ 630 000 Italiens ont immigré au Canada. » Dans notre recherche sur la région nous avons trouvé des preuves de la présence d’un certain Charles Ribighini en 1870 qui était venu pour travailler dans les gisements de pétrole dans la région de Petrolia. [Il se peut que ce Ch. Ribighini soit le tout premier Italien à être venu au Canada bien que personne ne puisse jamais en être sûr à 100%.]

De nombreuses versions de cette histoire et de ces aventures se retrouvent éparpillées partout à travers le pays et dans des collections privées. Ces histoires d’Italo-Canadiens, qu’on a recueillies, sont fragmentées et beaucoup sont cachées du public. On a besoin de faire plus de recherches parce que les collections et les histoires personnelles se retrouvent perdues ou oubliées génération après génération.

Afin de préserver ces histoires, de les rendre accessibles au public mais aussi de documenter celles qui doivent encore être racontées, on a fondé le Projet d’Archives Italo-Canadien (ICAP) [https://icap.ca/?lang=fr].

MI: De quoi s’agit-il? Parlez-nous de ce projet.

CdC : Le Projet d’Archives Italo-Canadien (ICAP) est une organisation à but non lucratif et une S.A., qui a pour but de promouvoir et d’organiser une stratégie nationale pour recueillir, préserver et rendre accessible les informations sur les expériences italo-canadiennes à travers le pays. À cette fin, l’ICAP a créé à travers tout le Canada un réseau de chercheurs, établis et émergents, qui travaillent dans le domaine des études italo-canadiennes afin de collaborer, de s’associer et de se connecter avec d’autres individus, groupes, organisations et institutions partout dans le pays, tous ceux qui s’intéressent à l’expérience italo-canadienne. Grace à ce réseau, l’ICAP travaille à encourager et à soutenir des activités qui cherchent à préserver et à fournir un accès à la documentation sur l’expérience italo-canadienne.

MI: Pourquoi est-il important de préserver l’italien que parlent les immigrants et leurs descendants au Canada ?

CdC : Je crois que l’identité de notre héritage est directement liée à cette langue en particulier. En comprenant et en parlant la langue de notre héritage, on crée une connexion plus forte avec la culture et on est capable d’engager le dialogue avec d’autres gens au sein de la communauté, ce qui en retour nous donne l’impression de faire partie de cet héritage.

MI: Comment les Archives utilisent-elles les informations qu’elles récoltent pour créer et renforcer cette connexion ?

CdC : L’ICAP ne récolte pas directement les informations mais il facilite la préservation des collections. Il le fait grâce à son réseau national d’experts qui aident à identifier des collections qui risquent d’être perdues, et qui aident aussi à rediriger ces collections vers des services d’archives telles que le Musée canadien de l’histoire, ou vers des archives locales. Partout au Canada les membres de l’ICAP aident à rassembler les communautés italo-canadiennes pour qu’elles engagent la conversation pour parler de leurs histoires, et aussi pour encourager les communautés locales à collecter, préserver et rendre accessibles leur histoire. Nous encourageons les gens à partager leurs histoires parce qu’elles représentent une partie importante de l’histoire du Canada. Nous les aidons, avec des experts, à trouver un moyen de préserver leur histoire. Nous offrons des ateliers et nous essayons de mettre en contact des communautés qui ont les mêmes idées pour effectuer ce genre de travail. Enfin, nous offrons du soutien et des conseils pour s’assurer que toute documentation est préservée que ce soit dans des archives locales, provinciales, universitaires ou nationales.

En gardant ces documents, histoires et artefacts dans les archives, nous nous assurons qu’ils sont gérés et catalogués professionnellement et, au fil du temps, numérisés et rendus accessibles à tous les Canadiens.

MI: Pourquoi est-il important d’enregistrer les voix et les histoires des immigrants italiens et de leurs familles ?

CdC : Les voix et les histoires des immigrants italiens nous parlent d’expériences, de changements radicaux dans la vie des gens et de comment leurs vies ont eu un impact sur les communautés dans lesquelles ils se sont installés. Ces histoires sont celles de gens qui, pour la plupart, viennent de milieux très modestes. Les histoires sont importantes à de nombreux égards et je crois qu’il est de notre responsabilité de nous assurer que les générations futures puissent aussi les entendre. Si nous ne documentons pas notre histoire, alors qui le fera ? Après tout, ça nous aide à mieux nous comprendre nous-mêmes et aussi à comprendre comment nous nous intégrons dans le tissu social canadien.

MI: Comment culture et langue sont-elles liées?

CdC : Culture et langue sont intrinsèquement liées l’une à l’autre. L’identité culturelle est enracinée dans la langue à de nombreux égards. Prenez par exemple la relation qu’ont les Italiens à la nourriture. Quand une table est considérée sous sa simple forme physique, le nom est de genre neutre ‘il tavolo’. Mais quand la table est mise pour recevoir des invités à diner, ou bien même quand elle est préparée pour un repas familial, il ne s’agit plus d’un simple objet physique et objectif et le genre féminin est alors utilisé : on dit ‘ la tavola’.

MI: Qu’est-ce que les expériences des immigrants italiens nous disent sur la langue et l’immigration plus généralement ?

CdC : Les histoires et les expériences nous disent que, bien que les gens s’adaptent à une vie dans un nouveau pays, qu’ils s’y habituent, qu’ils la reconstruisent, leur identité reste intrinsèquement connectée à leur langue et à leur lieu d’origine. La formation de leurs valeurs et de leur façon de penser se trouve en majeure partie connectée à leurs racines. Leur comportement est de nombreuses manières façonnée par le lieu d’origine et est lié de près à leur héritage. En gros, je vois que la vie quotidienne des immigrants, bien qu’ils soient maintenant à tous égards canadiens, est pleine d’habitudes et de façons de vivre qui sont étroitement liées à leur héritage ethnique et historique. [Par exemple, ma grand-mère fait toujours du pain frais le matin à l’âge de 78 et ce, presque tous les jours. Elle a des amis qui connaissent des lieux ‘secrets’ où ils récoltent des asperges sauvages et des champignons chaque année, et qui transmettent le nom de ces lieux à leurs enfants. La pleine lune d’octobre est toujours utilisée comme repère pour dire quand le vin pressé dans les garages doit être mis en bouteille ou rangé dans les casiers.]

MI: Vous avez publié un livre sur l’histoire des Italiens dans la ville de Sarnia (il se trouve que c’est justement aussi ma ville natale). Quelle a été l’expérience et l’histoire des Italiens du sud-est de l’Ontario et est-ce qu’elles diffèrent de celles ailleurs au Canada ?

CdC : Je trouve qu’il y a beaucoup de similarités mais aussi des différences significatives. Les histoires ont un thème commun quel que soit l’endroit où les Italiens se sont établis, pas seulement au Canada mais partout dans le monde. Pour la plupart, une forte éthique de travail et des unités familiales proches sont les valeurs communes où que vous alliez.

J’ai observé que dans les villes les plus petites, les Italiens semblent s’être intégrés plus rapidement au sein de la communauté canadienne bien qu’ils continuent à maintenir une fierté de leur héritage. Dans les petits centres urbains, les personnes d’origine italienne s’identifient soit comme italo-canadiens ou simplement comme Canadiens d’origine italienne. Dans les grands centres urbains où le nombre d’Italiens est de l’ordre de centaines de milliers, comme à Toronto, ils ont créé des « Petites Italies » et il semble qu’ils restent davantage connectés à leur lieu d’origine. À partir de mes conversations avec de nombreux groupes et personnes, il semble qu’ils s’identifient plus avec l’Italie.

Lorsque dans la conversation on en arrive à parler de l’histoire italo-canadienne, je trouve que dans les petites villes les gens se focalisent sur leur parcours pour venir ici au Canada tandis que dans les grandes villes il s’agit plutôt de ce que ça signifie d’être italien.

MI: Y a-t-il des différences entre l’italien parlé à Sarnia, à Windsor, à Toronto ou ailleurs au Canada ? Pourquoi à votre avis ?

CdC : À cause de ‘l’immigration en chaîne’ [qui permet à un immigrant, une fois la citoyenneté ou la résidence permanente acquise, de sponsoriser ou d’amener la famille étendue à les rejoindre dans leur nouveau pays], les gens d’une même ville ou région d’Italie s’installent dans les mêmes lieux au Canada. Du fait que la plupart des gens qui ont émigré étaient très peu éduqués, ils ne parlaient pas l’italien standard mais leur dialecte particulier, qui est souvent une langue très différente. Par exemple si le groupe vient de Sicile, les gens parlent sicilien. Pour quelqu’un comme moi, originaire du centre de l’Italie, le sicilien est une langue étrangère.

Il existe beaucoup de dialectes différents provenant tous d’Italie. Ces dialectes sont tous labélisés italiens ; néanmoins ils sont distincts les uns des autres. En fonction de l’endroit où un groupe spécifique d’immigrants italiens s’est installé, on verra un dialecte commun. Par exemple, la majorité des Italiens à s’être installés à Sarnia viennent d’une région du sud du Latium, connue sous le nom de Ciociarie ; vous entendrez donc parler ce dialecte. À Toronto le plus grand nombre des immigrants viennent de Calabre, beaucoup de Sicile, certains de Frioul, des Abruzzes, du Molise, tandis qu’un nombre beaucoup plus petit vient du sud du Latium. Non seulement vous avez différents ‘italiens’ parlés d’une ville à l’autre mais vous avez aussi une grande variation dans les villes mêmes.

C’est seulement ces 20 dernières années peut-être, à cause de l’éducation de masse, que la plupart des gens parlent l’italien ‘standard’ en Italie et que malheureusement les dialectes se perdent.

MI: Avez-vous l’impression que l’expérience ‘d’être italien’ au Canada a changé au cours des 50 dernières années ?

CdC : Oui je pense que ça a changé. On est passé d’une ‘italianité’ dotée au départ d’une vision négative ou péjorative à un état de ‘c’est dans le vent’ aujourd’hui. L’expérience a changé parce que les Italiens ont gagné le respect des autres Canadiens au fil du temps. Au fur et à mesure que les Canadiens interagissaient avec les Italiens, ils étaient de moins en moins suspicieux à leur égard. Cette compréhension les a menés à apprécier les valeurs italiennes du dur labeur, de la famille, de la bonne nourriture, ainsi de suite et, bien sûr, cela a marché dans le sens inverse aussi puisque les Italiens se sont intégrés de plus en plus dans la société canadienne.

Malheureusement, cette acceptation a mené à la perception que la langue italienne n’est pas nécessaire et donc à un désintérêt pour l’apprentissage de l’italien. Il y a de moins en moins d’Italo-canadiens aujourd’hui qui parlent italien.

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[Mes grandparents, Rita et Cataldo, et mon oncle et père, Frank et John]

Il existe l’expression « canadien à trait d’union ». Cette expression représente l’idée que beaucoup de Canadiens ne s’identifient pas simplement à l’identité canadienne. Si vous posez la question à beaucoup de Canadiens, dont beaucoup dans ma propre famille, ils ne diront pas qu’ils sont canadiens, mais plutôt qu’ils sont « X-canadiens ». Par exemple, ils se considèrent peut-être « italo-canadiens » ou peut-être même seulement « italiens » (la partie canadienne étant présupposée).

Seulement très peu de Canadiens, s’ils veulent bien remonter deux ou trois générations en arrière, trouveront que leurs ancêtres vivaient au Canada. Nous sommes une nation faite de nationalités différentes. Les Canadiens, ce sont les Premières Nations, les Inuits, les Métis mais aussi des Somaliens des Ukrainiens, et des Thaïlandais. Ces héritages nous façonnent individuellement et aussi en tant que nation. Être italien n’est pas quelque chose dont j’ai besoin dans la vie quotidienne mais ça m’aide à me sentir plus en adéquation avec mon passé.

En fait je me considère tout simplement canadien ; je n’utilise pas de trait d’union mais ma famille est faite d’Italiens et de Néerlandais et ça, ça fait partie de ma réalité en tant que Canadien. Ce que ça signifie d’être canadien est aussi divers que les nationalités, les gens et les langues qui font notre pays ; ça, c’est l’une des choses que je préfère quant au fait d’être canadien.

Et parce que ce serait irresponsable, même une abnégation de mon devoir, de ne pas vous fournir de délicieuses recettes italiennes, en voilà (recettes écrites en anglais) :

http://www.theglobeandmail.com/life/food-and-wine/food-trends/have-you-tried-zeppole-its-a-pastry-lovers-fever-dream/article4096172/

http://www.anitaliancanadianlife.ca/recipes/ciambelle-with-fennel/

 

A tantôt,

 

Michael Iannozzi

Merci bien Floriane pour ton aide!

 

 

Les parents utilisent les babyphones, mais les bébés nous ecoutent aussi

Cette semaine je me suis entretenu avec la Docteure Ailis Cournane de l’Université de Toronto. Nous avons discuté de l’acquisition d’une langue primaire (ALP), en particulier de la manière dont les bébés et les enfants en bas âge acquièrent leur(s) langue(s) maternelle(s), et de leur façon de s’y prendre. Vous êtes-vous déjà demandé si votre enfant comprend votre « langage de bébé » ? Si vous pouviez élever un enfant parfaitement trilingue ? Ou s’il importe que votre enfant n’arrive pas à se souvenir qu’on ne dit pas « chevals » ou « journals » (‘gooses’ et ‘mices’ dans le texte original) ? Comprendre grâce à l’ALP comment nos enfants font pour acquérir une langue est la première étape vers l’obtention d’une réponse à certaines de ces questions. Même si vous n’avez pas d’enfant, vous en étiez un autrefois ; alors voyons ce que l’enfant qui se trouve en chacun d’entre nous pense de la façon que nous avons tous d’apprendre notre première langue. Tout comme pour de nombreux autres aspects de l’éducation des enfants, quand on a son propre enfant, on a tendance à avoir le sentiment d’être des experts en développement de l’enfant. Mais en ce qui concerne l’acquisition d’une langue première, on peut se tourner vers des spécialistes comme la Professeure Cournane pour nous aider à comprendre cette science qui se cache derrière ce processus et comprendre quels genres de vérités universelles il existe vraiment. Même si vous n’avez pas d’enfants, vous en étiez un autrefois. Allons voir tout de suite ce que l’enfant en chacun de nous pense de notre façon d’apprendre notre langue maternelle.

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[Moi quand j’avais eu 2 ou 3 ans. Le spaghetti m’a rendu heureux…certaines choses ne changent jamais]

Michael Iannozzi : Qu’est-ce qui vous a d’abord intéressé dans l’étude de l’acquisition d’une langue primaire ?

Ailis Cournane : À l’origine je travaillais sur les changements linguistiques et je voyais là constamment des références au rôle que joue l’enfant-apprenant dans ce processus de changement linguistique [Le changement linguistique est la manière dont les langues évoluent au cours du temps, ce qui signifie en général, sur plusieurs générations]. On pense que les enfants ré-analysent la langue lorsqu’ils l’apprennent et qu’ils construisent leur propre grammaire mentale [interne et subconsciente]. Cependant, en dépit du fait qu’on observe cette théorie partout et du fait qu’elle soit largement acceptée, personne ne l’avait suffisamment explorée en rapport avec les changements linguistiques. Je me suis donc intéressée à la langue des enfants parce que je m’intéresse d’abord au changement. Le développement et le changement ont beaucoup en commun.

MI : Comment définit-on l’acquisition d’une langue primaire ?

AC : L’acquisition d’une langue primaire (ALP) décrit le processus et les propriétés de la langue des bébés, des tout-petits et des enfants en bas-âge au fur et à mesure qu’ils acquièrent leur(s) langue(s) maternelle(s). L’enfant commence sans aucun langage (mais avec une capacité pour le langage !) et, grâce à une contribution sociale de la part de locuteurs qui l’entourent, il construit graduellement sa ou ses langue(s). Je dis ‘langue(s)’ parce que beaucoup d’enfants sont exposés à plusieurs langues si bien qu’ils les acquièrent simultanément.

MI : Comment l’apprentissage d’une langue primaire est-il différent de l’apprentissage d’une langue seconde ?

AC : Il y a quelques différences importantes. Tout d’abord, avec l’ALP, il n’y a pas d’autre langue déjà en place. Si vous êtes un enfant apprenant l’anglais, vous construisez votre première langue en utilisant seulement votre capacité linguistique et votre exposition à des locuteurs plus âgés. En ce qui concerne l’acquisition langue seconde [ALS], vous avez déjà une langue en place ! Quand vous apprenez l’anglais en tant qu’adolescent, par exemple, vous l’apprenez donc en relation avec votre langue maternelle (disons le mandarin). L’anglais que vous apprenez en tant que L2 entre en compétition de plusieurs manières avec le mandarin que vous avez appris en premier [Une L2 est la deuxième langue d’une personne, celle qu’on a apprise en deuxième.] Deuxièmement, il apparait que l’ALS requière plus de motivation et un enseignement plus explicite que l’ALP : cours, exercices, se forcer à parler avec des locuteurs natifs, etc. L’ALS semble aussi montrer des étapes importantes moins bien définies que l’ALP.

MI : Qui sont ces sources principales de contribution pour l’acquisition de la première langue, L1, d’un enfant ?

AC : Les sources principales de contribution pendant la petite enfance sont les personnes principales qui s’occupent des enfants [parents, enseignants, personnel de crèche, de jardin d’enfants, nounous…]. Très tôt, lorsque la plupart des enfants dépendent largement de leur mère, la contribution maternelle est généralement la plus forte. Les frères et sœurs plus âgés jouent aussi un rôle tôt dans le développement. Une fois que l’enfant va à une crèche ou une école maternelle, les enfants du même âge commencent à jouer un rôle plus important.

MI : De qui un enfant prend-il son accent?

AC : Eh bien, un enfant, en particulier un enfant plus âgé ou un enfant unique, modèle d’abord sa langue sur celle de ces principales personnes qui s’occupent de lui ; c’est d’eux qu’ils reçoivent la plupart de la contribution linguistique. Cependant, les enfants s’adaptent très vite à leurs congénères dès qu’ils entrent à la crèche ou à l’école maternelle. C’est pourquoi les gens dont les parents sont des immigrés ne partagent pas l’accent de leurs parents mais plutôt celui de leurs pairs. Par exemple, mes parents viennent d’Irlande mais mes frères et moi avons grandi à Montréal. Nous avons un accent anglais canadien avec les traits attendus des anglophones de Montréal. Nous avons occasionnellement une certaine influence irlandaise mais notre façon de parler est bien, bien plus proche de celle de nos pairs que de celle de nos parents.

MI : Est-ce que les composantes de la langue des enfants (accent, grammaire, prononciation, etc.) sont apprises séparément, à partir de différentes sources ou sont-elles apprises simultanément ?

AC : Simultanément. Cependant l’intérêt ou le point principal de concentration des changements développementaux peuvent se produire dans différents domaines à différents moments. Par exemple, puisque les mots sont faits de différents sons, l’enfant a besoin de commencer à décrypter le système sonore d’une langue avant de pouvoir vraiment saisir des mots (sans parler des mots complexes ou des phrases). Ceci dit, les sons sont contenus dans des mots si bien que l’enfant apprend aussi nécessairement les mots lorsqu’il se concentre sur le développement des sons. Il y a là en jeu des interactions très complexes.

MI : Alors que les enfants apprennent leur première langue, ils font tous des erreurs: qu’est-ce que ces erreurs nous disent sur la manière d’apprendre à parler ?

AC : J’aime bien appeler les erreurs ou les fautes des analyses « divergentes » ou « créatives » parce que ces analyses sont productives et systématiques et elles émergent d’aspects qui indiquent comment l’enfant apprend [cela signifie que les erreurs qu’un enfant produit comme de dire « chevals » pour « chevaux » et « journals » pour « journaux » sont logiques même si elles ne sont pas correctes. En d’autres termes, les erreurs sont calquées sur un modèle et peuvent s’expliquer.]

Elles n’ont l’air d’erreurs que quand on les compare aux normes de grammaire adultes mais, elles ne sont en réalité pas vraiment des erreurs ; elles montrent, par exemple, le dévoilement par l’enfant des règles linguistiques et l’application de ces règles (parfois des exceptions). Par exemple, les enfants sur-appliquent souvent le passé des verbes réguliers aux verbes irréguliers : ‘prendu’ pour ‘pris’ ou ‘couri’ pour ‘couru’ (les exemples originaux en anglais sont ‘goed’ pour ‘went’ et ‘eated’ pour ‘ate’). Cela montre que l’enfant comprend comment former de manière productive le temps passé. C’est une grande prouesse et ça montre la prise de conscience de modèles et la capacité à généraliser une règle.

MI : Les erreurs qu’un enfant produit en parlant sont-elles malgré tout un genre d’erreur? Est-ce qu’on peut dire qu’une prononciation incorrecte est le même genre d’erreur que de dire ‘prendu’ ou ‘couri’ ?

AC : Pas nécessairement. Une prononciation incorrecte, par exemple, peut avoir une cause physiologique (contrôle musculaire, état de l’appareil vocal en développement, coordination, etc.), cognitive (compréhension du système des sons de la langue, organisation), ou même les deux.

L’omission de mots grammaticaux (par exemple dire ‘envie partir’ (‘wan go’ dans le texte original) laissant de côté le pronom et le verbe ‘j’ai’ et le marqueur infinitif ‘de’ (‘I’ et ‘to’ en anglais), et ce que ces erreurs signifient, sont des sujets de débat bien connus. La question est de savoir si l’enfant les omet parce qu’ils ne sont pas saillants dans le signal sonore de la langue [l’enfant n’entend-il pas les autres composantes ?] ou, parce qu’ils sont grammaticalement plus complexes et abstraits ? Ou est-ce même une combinaison des deux ? [La signification de « envie manger » (‘want eat’ dans le texte original) prononcé par un enfant à l’heure du diner est plutôt claire même si c’est grammaticalement incorrect.]

MI : Existe-t-il un ‘ordre’ dans la manière d’apprendre une langue ? Les enfants apprennent-ils certaines choses en premier et d’autres en dernier ?

AC : Oui ! Cet ordre est en parti déterminé par la logique : les phrases sont faites de mots et les mots sont faits de sons si bien qu’on ne peut pas sauter tout de suite vers l’apprentissage de phrases si on n’a pas d’abord compris deux ou trois choses du système sonore de la langue. En simplifiant quelque peu, la première tâche de l’enfant consiste ainsi à percer le système sonore des paroles qu’il entend autour de lui (ou le système gestuel de la langue des signes). Une partie de l’apprentissage des modèles sonores dans une langue consiste à apprendre où se trouvent les limites des mots dans le flux de paroles. Nos paroles sont des flux acoustiques continus, sans frontières, mais notre grammaire mentale sait où placer ces frontières [c’est pourquoi quand on entend une langue qui ne nous est pas familière, on pense souvent que les locuteurs parlent vite. Ce sentiment est dû au fait qu’on n’entend pas où les mots se terminent.]

Nous avons appris à faire cela quand on était enfants en résolvant ce qu’on appelle « le problème de segmentation ». Ce problème réfère à la façon dont un enfant apprend où un mot se termine dans le flux continu et où le mot suivant commence. La recherche actuelle affirme pour la plupart que les enfants comptent très fortement voire seulement sur le contrôle des possibilités transitionnelles entre les sons. Les combinaisons de sons qu’on retrouve fréquemment dans le flux de paroles sont considérées comme étant des mots. C’est seulement en ayant une compréhension de la phonologie de la langue, c’est-à-dire une compréhension de quels sons se combinent ensemble et comment, que les enfants peuvent progresser pour associer des sens à des mots et pour apprendre comment les mots peuvent se combiner en des mots plus complexes, et en phrases.

MI : Cet ordre est-il le même pour toutes les langues? Quelles sont les différences pour les enfants qui apprennent des langues maternelles différentes ?

AC : Oui, autant que nous sachions, l’ordre est remarquablement similaire à travers des langues diverses. L’enfant, contrairement à quelqu’un qui essaierait d’apprendre une seconde langue, n’a aucun savoir préalable d’aucune langue. Le développement est ainsi lourdement déterminé par des problèmes d’apprentissage qui peuvent le restreindre. L’enfant doit deviner le système sonore, les formes et les modèles des mots, leur signification, les règles grammaticales (syntaxiques), etc. La tâche est dans l’ensemble la même en dépit de la variation de la langue acquise. La langue des signes américaine, bien qu’elle s’exprime dans un mode différent (mode gestuel, visuel, plutôt que oral, auditif) est connue pour être très similaire en termes de développement aux langues parlées lorsque nous considérons les étapes importantes : les babillages, les premiers mots, les premières combinaisons de mots (les premières phrases), la surgénéralisation des règles, etc. Ceci dit, la plupart des langues n’ont pas été suffisamment étudiées dans leur développement et l’emphase a été principalement mise sur les langues européennes occidentales et sur d’autres langues proéminentes, largement répandues, comme le japonais ou le mandarin.

MI : Comment les adultes, les parents ou les personnes qui s’occupent des enfants changent leur façon de parler quand ils s’adressent aux enfants ?

AC : Les personnes qui s’occupent des enfants utilisent souvent ce qu’on appelle « la communication dirigée vers les enfants ». On l’appelle aussi « langage enfant » [langue spéciale d’interaction avec les enfants]  ou « mamanais » [« motherese » en anglais]. Cette forme de langue a des caractéristiques phonétiques distinctes : le ton est plus aigu que d’habitude, les modèles des accents toniques sont exagérés, et les voyelles sont plus longues. Ces traits phonétiques sont perçus comme ayant un « affect heureux ». Les enfants et les tout-petits répondent de préférence aux affects heureux.

Il y a aussi des preuves indiquant que les adultes utilisent un vocabulaire simplifié pour représenter des catégories basiques de mots, par exemple : une mère peut appeler un tigre « un gros chat » lorsqu’elle parle à son enfant. De plus, il existe aussi des preuves selon lesquelles les adultes simplifient leurs phrases qui contiennent des mots que l’enfant est prêt à apprendre [pour les mettre en évidence]. Par exemple, un père peut très bien dire « Tu veux de l’eau ? » à son bébé de 12 mois plutôt que « Est-ce que tu veux un verre d’eau ?». On pense que les adultes complexifient inconsciemment les discours adressés aux enfants au fur et à mesure que celui-ci grandit linguistiquement.

MI : Est-ce que ce changement est utile pour les enfants?

AC : Ça semble être utile mais pas nécessaire. Il existe des différences interculturelles dans la manière qu’ont les adultes et en particulier les personnes qui s’occupent d’enfants, d’interagir avec les enfants. Nous savons que les enfants et les enfants en bas âge réagissent au langage enfantin ; ça peut peut-être les aider que d’exagérer les limites entre les mots et les autres caractéristiques qui caractérisent le flux discursif ; ça peut ainsi les aider à apprendre des mots, mais aider ne signifie pas être nécessaire. La plupart de notre recherche a été menée sur des enfants apprenant une langue dans des sociétés occidentales à l’époque récente si bien qu’il est juste de dire que jusqu’à présent, nous en savons plus sur cette situation d’apprentissage que sur toutes les autres situations d’apprentissage encore existantes.

MI : Est-ce que les enfants apprennent leur langue maternelle différemment?

AC : Oui. Il y a des variations parmi les enfants mais on doit voir cela comme secondaire par rapport à des tendances et des similarités très fortes. Ainsi, il y a plus de similarités dans la façon d’apprendre une première langue qu’il n’y a de différences. En gardant cela en tête, on peut parler de ce qui varie.

Tout d’abord, les enfants peuvent souffrir d’un désordre qui affecte leur développement langagier (par exemple le syndrome de Down, l’autisme, le syndrome de Williams) ou bien ils peuvent avoir une déficience auditive qui les empêche d’accéder correctement à la langue parlée (mais étrangement pas à la langue des signes s’ils y sont exposés). Alors, même parmi les enfants qu’on peut considérer comme ayant un développement normal, au regard du langage, la chronologie du développement varie. Certains enfants atteignent les étapes majeures bien plus tôt que d’autres, mais tout ça dans des tranches d’âge normales. Par exemple certains enfants vont prononcer leurs premiers mots avant l’âge de 10 mois tandis que d’autres ne pourront pas les prononcer avant leurs 2 ans. C’est comparable à l’éventail d’âge où les enfants commencent à marcher, allant de l’âge de 9 mois pour certains à l’âge de 18 mois pour d’autres. Le retard linguistique n’est diagnostiqué que chez les enfants de plus de 4 ans parce qu’avant cet âge, les enfants peuvent varier énormément dans leur développement sans que cela ne soit alarmant.

La personnalité de l’enfant affecte aussi son développement. Certains enfants sont calmes et prudents alors que d’autres seront plutôt loquaces. La nature de l’interaction linguistique avec les personnes qui s’occupent d’eux importe aussi. Certaines études ont montré que le statut socioéconomique est un facteur significatif pour le développement lexical et syntaxique. Des chercheurs ont suivi des familles américaines et ont analysé leurs paroles. Les personnes de statut socioéconomique plus bas ont moins de chance de poser à leurs enfants en bas âge des questions ouvertes du type : « Qu’est-ce que tu dessines ? » mais plus de chances de s’adresser à eux avec des questions totales [dont la réponse est ‘oui’ ou ‘non’] comme « Est-ce que tu dessines ? ». De plus, elles ont aussi plus de chances d’utiliser des mots d’interdiction, comme « ne fais pas ci ! » en comparaison à des adultes de statut plus élevé. Les enfants de statut élevé ont en moyenne un vocabulaire plus large et atteignent les jalons du développement syntaxique un peu plus tôt.

MI : Comment un enfant affecte-t-il la langue de ses parents?

AC : Ma recherche répond directement à cette question mais c’est un domaine qui a déjà reçu par le passé beaucoup d’attention théorique mais peu de recherche a été faite à partir de données réelles. En d’autres termes, beaucoup de chercheurs pensent que les enfants jouent un rôle dans le changement linguistique mais quant à savoir si c’est vrai ou pas, la réponse n’est pas encore claire du point de vue concret de la recherche. Nous savons que les adolescents sont des « adoptants précoces » ; ils sont plus à même d’adopter et de répandre les changements linguistiques. Pensez, par exemple, à l’utilisation de la formule de citation en anglais « be like » (faire genre) : « He was like, ‘thank you’ » (il m’a fait genre ‘merci’). Cependant est-ce que ces nouvelles variantes dans la langue émergent à partir d’innovations effectuées dans la langue enfantine ?

J’examine cette question pour les expressions modales (les mots qui expriment la possibilité en anglais : must, can, might, maybe, probably, etc.) Il apparait effectivement que les enfants font des analyses compatibles avec l’évolution de la langue au cours du temps. Cependant, ‘compatible’ ne signifie pas nécessairement ‘causal’, alors restez à l’écoute !

MI : Est-ce que votre recherche affecte votre façon de parler aux enfants maintenant?

AC : Je ne pense pas, à part peut-être que, plus je travaille avec des enfants, plus je suis à l’aise avec tout plein d’enfants différents ! Ceci dit, travailler sur le langage des enfants affecte sans aucun doute ma façon de les ’écouter’ ! J’adore leur parler pas seulement à cause du contenu de ce qu’ils disent, mais à cause de la forme linguistique de ce qu’ils disent.

MI : Qu’est-ce que vous préférez dans votre travail d’étude ?

AC : La créativité linguistique ! Les enfants utilisent leur langue qui est en plein développement pour vivre leur jeune vie et ils produisent beaucoup de phrases créatives lorsqu’ils essaient de s’exprimer. Le problème en soi est fascinant et complexe : comment un enfant sans langue part-il de cette étape pré-linguistique pour devenir un adulte pleinement linguistique ? La langue est complexe et systématique, et il est tellement facile de la prendre pour acquise. Mais quand on doit réfléchir explicitement à ce qu’un petit apprenant fait, on est régulièrement frappé : c’est merveilleux de voir que les humains peuvent même apprendre une langue.

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[Ma maman et sa jumelle étaient en train de discuter l’économie.]

Un grand merci à Ailis Cournane de nous avoir ramenés dans notre enfance et de nous avoir appris comment on a un jour appris à parler. L’un des grands avantages des études linguistiques, ou des langues plus généralement, c’est que vous êtes constamment stupéfaits par les complexités du langage et par notre capacité à manier inconsciemment et sans effort cette complexité.

Le fait que la version bébé de ma personne a été capable d’apprendre le mot « tracteur » parmi ses premiers mots, est plutôt remarquable. Petit Michael a été capable de trouver où commence et où se finit le mot (avec un « t » et un « r »), d’identifier les sons au milieu, et d’associer cette suite de sons à cette machine énorme que mon grand-père conduisait avec moi dans son champ, et puis de produire ces sons sans qu’on me le demande, lorsque je l’ai vu la semaine suivante. Pas si mal quand on considère que, après 10 ans, je bataille toujours pour utiliser correctement la négation en français.

A tantôt,

 

Michael Iannozzi

Merci bien Floriane pour ton aide avec la traduction.

 

Un nouvel an, un ancien an fantastique

Bonne Année à tous!

 

Un petit billet de moi aujourd’hui. Je veux vous remercier tous pour votre soutien à notre musée en 2015. Je me suis joint le Musée canadien des langues en août 2014 à faire le travail bénévole pour ce blogue, et nos comptes de Twitter et Facebook.

 

Il est toujours un honneur énorme dont je suis fier à contribuer. Je suis donné la chance à parler avec des professeur(e)s, étudiants, et membres des communautés qui font du travail fantastique sur les langues. Je suis aussi très chanceux d’avoir l’opportunité de partager avec vous tous ce que j’aime des langues, et je suis très reconnaissant de votre générosité et patience.

 

Je veux remercier, en particulier, tout le monde qui a partagé leur recherche et travail avec moi et nos lecteurs. Aussi, Elaine Gold et Katharine Snider-McNair, la chaire et assistante exécutive du musée; elles sont toujours patientes, et toujours prêtes à m’aider avec n’importe quoi. Merci à vous.

 

Je veux aussi remercier Floriane Letourneux. Elle est la traductrice de nos billets de blogue (sauf celui-ci, alors les fautes sont tous les miens), et elle est trop patiente et gentille avec moi. J’entends souvent de ceux qui me disent que les traductions sont très bien faites, et je veux dire que c’est grâce à Floriane, et son travail excellent.

 

En 2016, je veux commencer à faire des petits billets sur les étudiants en des cycles avancés. Une idée j’ai essayé à commencer en septembre, mais il était un temps trop chargé avec des nouveaux étudiants et un nouvel an pour les universités. Alors, si vous êtes un(e) étudiant(e) canadien(ne), ou si vous étudiez quelque chose canadien sur les langues, contactez-moi à canlangmuseum@gmail.com. Aussi le document est ici : profils d’étudiant(e)s.  Je serais très heureux de parler avec vous.

 

Alors, enfin, n’hésitez jamais à me contacter avec des idées, des avis, ou d’autres choses. Je suis toujours reconnaissant de parler avec tous qui suit notre musée, et je veux bien savoir si vous avez des nouvelles, des événements, ou d’autre chose que vous voulez partager avec notre musée.

 

À tantôt, merci, et bonne année et bonne santé,

 

Michael Iannozzi

 

 

Il n’est pas ce qu’elle dit, mais comment elle le dit

LeAnn Brown a récemment reçu son doctorat de l’Université de Toronto ; elle est aussi ponctuellement instructrice à l’Université de Calgary et assistante de recherche à l’Université du Manitoba. Elle étudie comment les traits de personnalité, l’orientation sexuelle et le sexe des gens se manifestent tous (s’ils se manifestent) dans leur discours, et comment tout cela façonne le pouvoir dans notre société.

Voici la première partie d’une entrevue en deux parties avec LeAnn. Cette semaine nous discutons de comment le discours des femmes est traditionnellement stigmatisé et de comment cette stigmatisation devient un moyen de critiquer les femmes en général.

La publication en deux semaines se concentrera sur les questions LGBTQ.

Les recherches effectuées ou citées par LeAnn reflètent des partis pris cruciaux sur notre société. En ayant une meilleure compréhension de ces questions, nous pouvons travailler à y répondre et à les surmonter.

[Les hommes et les femmes se sont comparés leurs façons de parler depuis toujours]

[Les hommes et les femmes se sont comparés leurs façons de parler depuis toujours]

Michael Iannozzi : Qu’est-ce qui vous a d’abord intéressée à étudier la façon dont le pouvoir, le sexe biologique et l’orientation sexuelle façonnent l’usage de la langue ?

LeAnn Brown : En tant qu’étudiante sous-graduée j’avais un peu entendu parler des « sexolectes », cette idée que les femmes et les hommes parlent différemment. Je me suis demandé : est-il facile pour les individus transgenres de pouvoir acquérir un nouveau sexolecte ? Et cette question est devenue l’épicentre de mon projet de maîtrise et une partie de ma recherche doctorale. Étudier les questions cis genres (c’est-à-dire non transgenres) et transgenres soulève toutes sortes de questions sur le pouvoir et l’orientation sexuelle si bien que mon intérêt pour toutes ces questions a évolué à partir de cette première question de base.

MI : Comment définissez-vous le pouvoir dans une conversation entre deux personnes?

LB: Il existe beaucoup de définitions différentes car il existe différentes sortes de pouvoir. Un bon point de départ pour définir le mot est de dire que vous avez le pouvoir si vous avez accès au prestige, à un statut social, à des richesses et à des opportunités. Lorsqu’on parle de langue et de facteurs sociaux généraux tels que le genre, l’orientation sexuelle, la race ou l’ethnicité, la classe sociale, on parle de la personne qui a le pouvoir d’établir les normes au sein d’une société. La société canadienne anglophone d’aujourd’hui est pour la plupart le produit de populations blanches, anglophones, chrétiennes, valides, hétérosexuelles et cis genres. Ainsi, cette société est majoritairement dirigée dans la plupart des secteurs (systèmes politique, religieux, judiciaire mais aussi dans l’éducation) par des hommes blancs, anglophones, chrétiens, valides et hétérosexuels. Non seulement ils ont accès au prestige, au statut social, aux richesses et aux opportunités mais ils ont aussi le contrôle de qui a accès à tout cela. Défier ce genre de pouvoir nécessite des mouvements sociaux : par exemple le mouvement américain des Droits Civiques, le mouvement féministe, toutes les luttes contre les discriminations au travail envers les membres des communautés LGBTQ.

Tout cela se trouve en arrière-fond lorsque deux personnes ont une conversation mais leurs propres réalités sociales et le contexte, dont le but même de la conversation, affectent aussi la relation de pouvoir. Ces éléments ne sont pas statiques puisque le contexte ou le but peuvent changer en même temps que l’équilibre du pouvoir. Il n’y a donc pas de réponse simple et unique à cette question.

MI : Comment le sexe des locuteurs joue-t-il un rôle dans l’équilibre des pouvoirs et, est-ce que cela a changé ces dix dernières années ?

LB : En ce qui concerne la société canadienne, les femmes ont maintenant plus accès au pouvoir dans les domaines sociaux que par le passé mais il existe toujours des iniquités de pouvoir. Je ne pense pas que la plupart des gens disputeraient cela étant donné la prévalence de la violence domestique contre les femmes, les proportions plus élevées de femmes (et d’enfants) vivant dans la pauvreté, les écarts de salaire basés sur le sexe ainsi que le manque de femmes au gouvernement en comparaison avec les hommes. La langue reflète tout cela.

Par exemple, si on regarde l’histoire de notre façon d’évoquer la langue anglaise, on découvre qu’on a supposé qu’elle était l’arène des hommes. L’écrivain Thomas Hardy a noté qu’ « il est difficile pour une femme de définir ses sentiments dans une langue qui est principalement créée par les hommes pour définir les leurs. » On a supposé que les hommes étaient des locuteurs et des écrivains standards, utilisant la grammaire et la prononciation « correctes ». Bien entendu, cela n’incluait pas tous les hommes : seulement les hommes blancs, anglophones natifs et éduqués. Par exemple, dans son livre sur la grammaire anglaise (1922), Jespersen a écrit des chapitres spécifiques pour parler des discours des locuteurs non-standards comme les « étrangers » et les femmes. Quand vous êtes au pouvoir, c’est vous qui pouvez décider de ce qui est « formel » ou « standard » et de ce qui ne l’est pas (ce qui est de qualité inferieure). Ça maintient le système, vous et tout le monde, en place.

Pourtant la recherche de Labov à la fin des années 60 et dans les années 70 aux États-Unis a révélé des résultats intéressants qui n’appuient pas ce point de vue sur la langue. Il a trouvé que les femmes anglophones, au-delà des limites d’ethnicité ou de classe sociale, produisent plus de formes standards que leurs homologues masculins. Il a aussi trouvé que les femmes ont tendance à être les innovatrices de la langue, en maintenant la langue vivante et vibrante, en participant par exemple à la création de nouvelles formes syntaxiques, de nouveaux points lexicaux ou de nouveaux changements vocaliques, dans un premier temps à des taux plus importants que pour leurs homologues masculins. C’est le célèbre « paradoxe sexolectal » de Labov.

MI : Que reflètent ces résultats quant à nos idées préconçues et à nos attentes ?

LB : Ces types de résultats sont importants parce qu’ils indiquent une importante déconnexion entre ce que des groupes spécifiques de locuteurs produisent et ce que des groupes de locuteurs spécifiques pensent de ce que les premiers groupes produisent. C’est-à-dire que nous avons des stéréotypes sur les groupes de locuteurs qui ne sont pas basés sur des données linguistiques à proprement parler et cela se maintient pour le facteur « sexe » aussi bien que pour d’autres facteurs sociaux.

C’est le travail de Robin Lakoff au début des années 70 qui s’est vraiment concentré sur la question des « sexolectes » (c’est-à-dire les différences linguistiques selon les sexes). L’importance de son travail a été minimisée parce qu’elle se basait sur ses propres intuitions en tant que femme universitaire blanche plutôt qu’à travers des études de vrais gens dans la vie quotidienne ; mais elle reste une personnalité importante à mon avis et ce, pour deux raisons. D’abord, elle a clairement identifié les limitations du travail mais elle reconnait aussi que ces différences linguistiques sont avant tout des différences de pouvoir. La langue des femmes reflétait l’impuissance tandis que celles des hommes reflétait le pouvoir si bien qu’il ne s’agit pas fondamentalement d’un problème de rôles entre les sexes mais d’un problème de répartition du pouvoir entre chaque sexe dans le schéma sociétal. Deuxièmement, elle a identifié des variables spécifiques que les femmes ont tendance à utiliser dans son expérience. Ces variables ont ensuite été recueillies et utilisées par des chercheurs ultérieurs dans leur propre recherche quantitative. Par exemple, les déclarations évasives (« plutôt », « je suppose », « tu vois »), les mots bouche-trou (’tu sais’, ‘euh’. ‘quoi », « bah », « ben », « style », « t’sais veux dire ») et les questions de reprise (« n’est-ce pas ? », « non ? »)

Les études ultérieures, comme celles de Shuy (1993) qui étudient des transcriptions d’auditions de tribunal soutiennent le premier point de Lakoff. Au tribunal, lorsqu’un témoin et un avocat ou un juge discutent, il y a une différence nette de pouvoir : dans la conversation, le témoin est la personne avec le moins de pouvoir. Nombre de signaux linguistiques que Lakoff a identifiés comme faisant partie de la langue des femmes, l’utilisation des réponses évasives et les mots bouche-trou par exemple, se retrouvent dans le discours du témoin, indépendamment de leur sexe. Curieusement, la recherche de Shuy suggère que l’utilisation de ces outils linguistiques moins forts mène à ce que le locuteur ne soit pas cru ; et cela a des conséquences en termes de verdicts juridiques et de condamnations.

MI : Pouvez-vous donner des exemples de la façon dont des traits du « discours des femmes » sont vus négativement ?

LB : Ce qui est intéressant à mon avis, c’est de savoir si une variable est stigmatisée parce qu’elle n’est pas standard ou parce qu’elle est utilisée par des femmes. Le contour intonatif montant est un excellent exemple. Pour faire simple, celui-ci consiste à faire une déclaration mais avec l’intonation de l’interrogation. En Amérique du Nord, on considère souvent que ce phénomène est exclusivement celui de jeunes femmes (des innovatrices !). Lakoff a aussi noté que le contour intonatif montant chez les femmes exprime l’hésitation et le besoin de réassurance. Ce cas est intéressant parce qu’il semble que tout le monde le remarque. En anglais nord-américain, il est très fortement associé aux jeunes femmes, mais négativement, en faisant passer la locutrice comme manquant de confiance ou même inepte.

Par exemple, une jeune femme m’expliquait pendant un atelier qu’on lui avait explicitement dit durant son programme universitaire en commerce de ne jamais utiliser le contour intonatif montant parce que cela endommagerait sa crédibilité et son image professionnelle. Il existe sur Internet de nombreux articles et des videos YouTube populaires traitant des compétences de présentation et répondant aux horreurs de cette intonation.

Il est intéressant de noter qu’une petite étude de locuteurs ontariens (Shokeir, 2008) a montré que, tandis que les femmes utilisent l’intonation montante beaucoup plus que les hommes, celle-ci n’est pas l’exclusivité des femmes ni celle des jeunes femmes. Tout le monde l’utilise, les femmes plus que les hommes mais les femmes plus âgées l’utilisent à des taux semblables que les femmes plus jeunes. Shokeir (2008) a trouvé qui plus est que pour les hommes, l’intonation montante est connectée à des notions négatives comme l’incertitude alors que pour les femmes elle reflète des attributs positifs comme une attitude amicale.

En termes de pouvoir, l’intonation montante est-elle vue négativement parce qu’elle est associée à un manque de pouvoir ou à une impression d’incertitude de la part du locuteur, ou bien parce qu’elle est considérée comme un trait utilisé par les jeunes femmes ? L’interdiction de l’intonation montante dans les cours de commerce est-elle le reflet d’une culture qui accorde de l’importance au pouvoir ou dévalue-t-elle la bienveillance ou même les femmes en général ? L’intonation montante va-t-elle être utilisée au Canada par les femmes et les hommes et/ou les hommes canadiens changeront-ils les associations qu’ils font avec l’intonation vers quelque chose de plus positif ? Voilà des questions à garder en tête. C’est un bon exemple montrant qui établit les standards et comment les nouveautés qui ne sont pas en adéquation avec ces standards ne sont pas vues de manière positive tant que plus de gens (c’est-à-dire les personnes avec plus de prestige social) ne l’utilisent pas.

MI : À votre avis, pourquoi ce genre de « contrôle » de la langue est-elle si populaire ?

LB : La langue est souvent une façon « acceptable » de voir quelqu’un comme « l’Autre ». Les critiques de l’utilisation de la langue constituent un cadre pour continuer à produire et à justifier des préjudices et de la discrimination. Il en existe d’excellents exemples dans des vidéos YouTube qui attaquent les jeunes femmes et, je suppose, d’autres groupes traditionnellement discriminés. Lorsqu’on regarde le contenu des vidéos, il n’est pas question d’usage de la langue mais de misogynie, formulée en termes d’usage de la langue. Ironiquement, le fait de langue qui se fait attaquer est souvent utilisé par le critique.

Par exemple, dans une vidéo que j’ai présentée à un atelier, un jeune homme parodie une jeune femme qu’il n’aime pas, prétendument à cause de sa façon de parler. Il l’a fait en utilisant le terme « genre » de manière excessive. Mais lui-même utilise ce mot de manière excessive dans son propre discours ! Le contenu de la vidéo rend évident le fait que ce jeune homme trouvait cette femme (et les femmes qui parlent comme elle) « moralement insuffisante » bien qu’il ait choisi d’attaquer explicitement son discours plutôt que sa moralité.

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[Simone de Beauvoir]

Un grand merci à LeAnn Brown pour avoir partagé sa recherche et ses connaissances avec nous.

Il y a depuis quelques temps des discussions concernant la « voix craquée » [ou « friture vocale »] : ce son grinçant ou rauque qu’une voix peut produire, souvent à la fin d’une phrase. Ce phénomène a été critiqué de la même manière que le contour intonatif montant. Néanmoins, tout comme celui-ci, on a trouvé que la voix craquée n’est pas seulement utilisée par les femmes (loin de là), mais c’est un phénomène encore quasiment nouveau.

Certains aspects de la langue peuvent être, à tort ou à raison, associés à des groupes particuliers d’individus et peuvent être utilisés pour discriminer et critiquer ces derniers. Il existe cependant une diversité dans notre manière d’user et d’abuser la langue qui ne reflète pas qui nous sommes en tant qu’individus.

Vous pouvez trouver des histoires concernant le tapage en cours autour des voix craquées en cliquant sur les liens suivants :

http://www.npr.org/2015/07/23/425608745/from-upspeak-to-vocal-fry-are-we-policing-young-womens-voices

https://soundcloud.com/panoplyexcerpts/the-vocal-fry-guys

https://debuk.wordpress.com/2015/07/26/a-response-to-naomi-wolf/

http://nymag.com/thecut/2015/07/can-we-just-like-get-over-the-way-women-talk.html

http://www.thestar.com/life/2015/08/04/women-say-they-vocal-fry-because-they-want-to.html

 

Merci beaucoup.

A tantôt,

Michael Iannozzi

Merci bien à toi Floriane pour ton aide avec la traduction.

L’Onomastique: un sujet digne de ce nom

Karen Pennesi est professeure à l’Université Western. Elle étudie comment les noms des gens sont façonnés, perçus, et souvent jugés par une évaluation personnelle, les valeurs familiales et les mœurs sociétales. Vous pouvez retrouver son projet ici, et sur Facebook.

Les noms des gens me fascinent. L’une des choses que je préfère avec ma famille, c’est notre réaction quand on apprend le nom d’une personne. Nous avons une vieille tradition pour nos sorties au restaurant. L’un de nous quatre, parmi ma mère, mon père, ma sœur et moi, regarde l’addition et trouve en général, en haut, le prénom du serveur ou de la serveuse. Les trois autres essayent alors de deviner le prénom ; nous avons le droit de poser des questions et l’une d’entre elles est presque toujours : « est-ce que le prénom lui va ? » Chose étonnante, au moins dans notre famille, on semble tous avoir à peu près la même compréhension de ce qu’est un prénom approprié pour une personne rencontrée, au plus, 2 heures plus tôt. De plus, une fois qu’on a deviné le prénom, on a tous immédiatement une réaction forte quant à savoir si le nom lui « convient ». Mais comment formons-nous ces notions de quel prénom est plus convenable pour qui ?

Il s’agit là seulement d’une seule parmi des milliers de choses que je trouve tellement intéressantes en onomastique. La professeure Pennesi a tellement de choses à raconter et tellement de réponses à des questions que j’ai depuis des années ; alors, commençons !

[Les noms de famille les plus communs aux pays européens]

[Les noms de famille les plus communs aux pays européens]

Michael Iannozzi : Pour commencer: qu’est-ce que l’onomastique ?

Karen Pennesi : L’onomastique est l’étude de l’histoire, de la structure, de la signification et de l’usage des noms. C’est un domaine très large qui peut inclure les noms de lieux, de personnes, de marques et pleins d’autres types de noms. Ma recherche porte sur les noms des gens, qu’on appelle parfois les « anthroponymes ».

MI : Qu’est-ce qui vous a amenée à commencer à étudier des noms des gens ?

KP : Je crois que les noms sont en soi intéressants pour tout le monde puisque tout le monde a un nom et certaines personnes en ont même plusieurs au cours de leur vie. Je réfléchissais à un sujet de recherche qui serait assez large pour maintenir mon intérêt et ma productivité pour les quelques années à venir et que je pourrais étudier localement, c’est-à-dire sans avoir à voyager à l’étranger comme pour ma recherche précédente au Brésil. Les noms se trouvent partout alors ça rend la tâche plus facile.

Les noms sont un excellent exemple du point de convergence entre la langue et l’identité. Les gens voient souvent les noms comme un genre d’étiquette pour identifier ou se référer aux individus, mais les noms sont aussi des mots. Ils doivent convenir au système phonétique d’une langue et ils ont une structure qui est déterminée par une convention sociale ou culturelle. Par exemple, une personne possédant un nom indonésien ou mohawk peut avoir un nom avec un seul composant et non pas avec un prénom et un nom de famille comme nous le faisons en anglais canadien. À l’opposé, une personne peut avoir un nom espagnol ou portugais avec quatre ou cinq composants s’ils ont un prénom en deux parties et s’ils gardent le nom de famille des deux parents [par exemple, Salvador Dali venait de Catalogne et son nom entier était : Salvador Domingo Felipe Jacinto Dalí i Domènech].

Je m’intéresse depuis longtemps aux manières dont les gens essayent de s’insérer dans de nouvelles cultures. Lorsque j’enseignais l’anglais en Corée, j’avais remarqué que beaucoup de Coréens adoptaient des noms anglais dans leurs cours d’anglais et qu’ils continuaient ensuite à les utiliser quand ils voyageaient à l’étranger. Quand j’enseignais à des étudiants internationaux aux États-Unis et au Canada, nombre d’entre eux avaient des noms anglais mais beaucoup continuaient aussi à utiliser leur nom d’origine. J’ai commencé à m’intéresser à savoir pourquoi les Coréens prennent souvent des noms anglais alors que les Japonais ou les Iraniens ne le font pas. Ou pourquoi les étrangers anglophones en Corée ne prennent habituellement pas des noms coréens pendant qu’ils travaillent là-bas. Pour les nouveaux venus au Canada, cette décision, consistant à garder ou à changer leur nom, peut être importante. Je connais personnellement quelques cas où les personnes avaient des difficultés avec leur nom, au Canada, ce qui les a menés à différents niveaux de stress, de mécontentement, d’inconvénient et même de discrimination ou de rejet.

Dans ma recherche je voudrais explorer cette relation entre l’identité et les noms : quels genres de noms sont problématiques dans un contexte donné ? Pourquoi ? Quels genres de problèmes résultent d’une diversité de noms inconnus ou peu conventionnels ? Comment est-ce que différents groupes de gens répondent à ces problèmes ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour réduire certains de ces problèmes ?

MI : Qu’avez-vous trouvé en ce qui concerne la façon dont les gens perçoivent leur propre nom ? Comment cette perception personnelle affecte leur identité ?

KP : Les gens semblent avoir différentes attitudes envers leur nom à différents moments dans leur vie. Par exemple, un enfant peut ne pas aimer son nom si on l’embête avec ça, mais à l’âge adulte, il n’existe plus de moquerie et cette personne commence à l’apprécier plus. Ou bien une personne peut avoir une attitude indifférente envers son nom avant d’immigrer vers un nouveau pays et alors, tout à coup, son nom si ordinaire devient imprononçable et étrange, et va la caractériser comme différente. Ensuite il se peut que cette personne commence à ne plus aimer son nom ou bien sente que c’est un fardeau ou une entrave. D’autres personnes dans la même situation peuvent se sentir heureux d’être uniques. Plus tard dans leur vie, lorsque la personne prend confiance en elle un peu plus et qu’elle prend connaissance des inégalités sociales, il est possible qu’elle soit fière de son nom et le voit comme un signe de son héritage.

Certaines personnes sentent que leur nom représente l’essence de leur être si bien qu’il leur serait impossible de concevoir de le changer, qu’il s’agisse de garder leur nom de famille après s’être marié ou de garder leur prénom après avoir immigré. Même s’ils n’aiment pas leur prénom ou qu’ils voient que c’est problématique, ils ne peuvent tout simplement pas changer leur identité par le simple fait de changer leur nom. L’un de mes étudiants gradués est en train de mener des recherches sur les changements de nom chez les transgenres et elle a trouvé que choisir un nouveau nom pour correspondre à la présentation d’un nouveau sexe est un moment crucial de la transition. Les personnes transgenres cherchent un nom qui « va » avec leur image de soi et lorsqu’ils le trouvent, elles ressentent un soulagement et de la satisfaction d’avoir convenablement résolu leur vrai moi. Dans ces cas-là, choisir un nom est manifestement un acte de construction identitaire.

MI : Que pouvez-vous nous dire sur la façon dont les gens perçoivent le nom des autres?

KP : Des recherches ont déjà montré que si le nom d’une personne est perçu comme « étranger », cela réduit les chances de la personne de se faire embaucher pour un boulot. Cela arrive au Canada, aux États-Unis, en Europe etc. Ce qui est considéré comme « étranger » variera évidemment mais l’effet est le même. Une forme similaire de discrimination se produit dans l’accès à un logement où certains types de noms sont interprétés comme représentant une ethnicité, religion, nationalité ou culture indésirables : les candidats sont alors refusés.

MI : Est-ce que ces perceptions, voire ces préjudices, s’étendent aux noms considérés comme « non-étrangers » ?

KP : Des résultats montrent que des noms particuliers en viennent à être associés à certaines caractéristiques ou certaines catégories sociales. Par exemple, les gens supposent qu’un homme prénommé Josh sera « probablement bon en sport et [que ça doit être] cool d’être son ami, tandis qu’un homme prénommé Bryce sera « probablement un snob pourri gâté ». Une Dolores sera « probablement une dame âgée ou une immigrée » tandis qu’une Jennifer pourrait presque avoir n’importe quel âge et appartenir à n’importe quelle classe sociale. Les gens s’attendent à ce que Lebron soit noir et que Brittany soit blanche. Ce ne sont que des exemples mais, bien sûr, ces associations se basent sur une combinaison de stéréotypes, d’expériences personnelles et de tendances sociales. Ce que je veux dire, c’est que les gens émettent des hypothèses et des jugements sur les gens en se basant sur une perception subjective des noms.

MI : Votre recherche se concentre sur les noms des immigrants au Canada. Comment sont-ils perçus par les Canadiens ? Est-ce que le fait qu’un nom « sonne étranger » se base sur un schéma ou sur des sons particuliers ?

KP : Le degré de familiarité est le facteur déterminant. Les noms italiens ont pu être considérés étrangers ou difficiles à prononcer pour les Canadiens il y a 70 ans mais maintenant ils leur sont plus familiers et les gens n’hésiteront pas à essayer de les prononcer. C’est une question qui dépend vraiment de la personne à qui vous posez la question. Ma recherche a montré que ce qui compte comme un nom « difficile » ou « facile » dépend de l’expérience personnelle (connaissez-vous beaucoup de gens portant ce type de noms ?), de l’aptitude linguistique générale (êtes-vous doué pour apprendre des langues et pour prononcer des sons qui ne vous sont pas familiers ?) ainsi que de l’attitude générale envers différentes sortes de gens (si vous avez une attitude négative envers la diversité, vous rejetterez probablement les noms « étrangers » parce qu’ils sont trop difficiles pour même essayer.)

MI : Qu’est-ce qui fait que les gens créent des associations pour certains noms?

KP : Cela a à voir avec la race, l’ethnicité, la classe sociale et l’âge. Les parents choisissent des noms qui correspondent à leur groupe social. Il y a eu une étude de faite qui a montré comment les prénoms féminins de la haute société en viennent à perdre de leur statut raffiné au fur et à mesure que plus de filles de la classe moyenne reçoivent ce nom de parents aspirants à une ascension sociale. La même chose se produit avec les parents des classes populaires si bien que, finalement, des prénoms comme Ashley et Brittany, qu’on trouvait auparavant seulement chez les filles blanches de la haute-société se retrouvent maintenant parmi les prénoms les plus populaires chez les filles de classes populaires, aux États-Unis. En même temps, il y aura toujours une nouvelle liste de prénoms féminins pour la haute-bourgeoisie pour remplacer ceux qui ont été récupérés par les classes populaires et ce, afin de maintenir la distinction. Les associations particulières dépendent aussi de la manière dont vous venez à connaître le nom, des gens mêmes que vous avez rencontrés et qui portent ce nom et aussi de comment vous les avez perçus. J’ai une amie qui pensait que le prénom Angus était chinois parce que le seul garçon portant ce prénom qu’elle avait jamais connu était chinois.

MI : À chaque fois qu’on me demande mon nom de famille, par exemple pour faire une réservation dans un restaurant, je me mets instinctivement à l’épeler. Est-ce là une habitude commune ? Qu’est-ce que cela montre de l’acceptation de la part de la société des noms propres peu communs.

KP : J’ai déjà entendu parler de cette stratégie par le passé, en particulier au téléphone ou en parlant à du personnel de service qui ne vous connaît pas et avec qui vous n’aurez d’ailleurs pas d’autre interaction. Je crois que cela vient d’un désir d’éviter les erreurs mais cela réduit aussi la possibilité d’embarras pour vous ou pour l’agent de service. C’est une attitude de reconnaissance qu’il existe une grande diversité de noms qui peuvent être difficiles et aussi qu’il n’y a aucune attente à ce que quelqu’un devrait savoir comment épeler ou prononcer un nom. Cela révèle votre propre supposition que l’autre personne aura du mal si vous ne l’épelez pas. Certaines personnes peuvent trouver cela inutile s’ils considèrent leur nom « facile ».

MI : En parlant d’ajustement à certains groupes sociaux, comment les célébrités façonnent-elles la perception des gens qui portent le même prénom, et la popularité générale du nom ?

KP : Des études statistiques ont montré que les personnages populaires de films ou de série télé, ou même les hommes et femmes politiques, provoquent une augmentation du nombre de bébés portant ces prénoms dans les années suivant le pic de popularité de la personne célèbre. Ça peut aussi marcher en sens inverse pour les noms qui se retrouvent associés à des gens qui sont connus pour des raisons négatives ; par exemple, il y a eu une décroissance du nombre de garçons s’appelant Adolf ou Oussama.

MI : Comment les conventions pour prénommer les bébés ont-elles changé dans notre société et qu’est-ce que ces changements disent de nous ?

KP : Les conventions pour le choix des noms sont le reflet de changements sociaux et de l’organisation de la société. Au Canada, tous les bébés doivent recevoir au moins deux noms : le prénom et le nom de famille. Cela a en partie à voir avec le besoin du gouvernement de pouvoir identifier les individus pour les activités telles que les impôts, l’éducation, le vote, etc. C’était autrefois la convention que le bébé prenne le patronyme du père à moins que celui-ci ne soit pas identifié. Maintenant, avec le divorce et les remariages conduisant à des familles recomposées, les noms de famille à trait d’union ou à double nom deviennent de plus en plus commun. Ces derniers sont aussi communs dans des situations où les femmes mariées gardent leur nom de jeune fille tout au long de leur vie au lieu de changer et d’adopter le nom de leur mari. Les pratiques actuelles pour prénommer les enfants montrent ces changements sociaux concernant la position des femmes dans la société et comment cela a touché le mariage et la constitution des familles. Cela signifie aussi qu’il est plus difficile de faire des suppositions sur les gens en se basant seulement sur leur nom : un enfant peut avoir un patronyme différent de celui de sa mère et vous ne saurez pas si c’est parce que sa mère ne s’est jamais mariée mais a donné le nom de famille du père ; si la mère s’est remariée et a rechangé son propre nom de famille ; ou si la mère n’a jamais changé de nom, l’enfant étant adopté ; ou si la mère est en fait la belle-mère de l’enfant. Un(e) enseignant(e) qui connait seulement le patronyme d’un enfant ne peut pas supposer qu’il/elle doit appeler la mère « Madame Nom de famille de l’enfant ». Tout cela n’aurait pas été un problème il y a 50 ans au Canada lorsqu’il était plutôt certain de supposer que les enfants et les parents partageaient tous un patronyme commun.

MI : Chaque année sort une liste des prénoms de bébé les plus populaires à la fois pour les filles et les garçons. Qu’est-ce que cette liste nous montre des parents et de notre société ?

KP : Ça montre que ça intéresse les gens de savoir comment les autres prénomment leur bébé. Ça montre aussi que les parents finissent par faire des choix similaires dans des contextes sociaux similaires sans même en être conscients : (« J’ai choisi Olivia parce que j’aime le son [o]. Je ne savais pas que 2 0000 autres bébés canadiens allaient aussi se prénommer Olivia cette année-là ! »)

MI : Depuis que vous avez commencé votre recherche, est-ce que parfois vous analysez plus ou moins le nom des gens ?

KP : Oui, je suis plus consciente des commentaires que font les gens sur les noms, que ce soit positif ou négatif. Je m’efforce de ne pas commenter les noms des gens à moins que je ne sois en train de parler de la recherche. La plupart des gens à qui j’ai parlé ne veulent pas que leur nom soit évalué ou commenté (« tiens, c’est différent », « comment l’épelez-vous ? », « c’est joli comme prénom »). Ils veulent juste vous dire leur nom et continuer la conversation. Si vous faites une blague ou un commentaire, les chances sont qu’ils ont déjà tout entendu et ça peut devenir fatigant. Je fais de mon mieux pour prononcer et épeler les noms des gens comme ils le préfèrent mais je n’en fais pas toute une histoire et je n’attire pas trop l’attention là-dessus.

MI : Qu’est-ce que vous aimeriez faire ensuite pour votre recherche en onomastique ?

KP : L’usage social des noms m’intéresse toujours tout comme les contraintes pour le choix des noms auxquelles des groupes particuliers font face tels que les immigrants et les gens des Premières Nations. Leurs pratiques pour nommer les gens et leurs systèmes d’écriture ne se conforment pas aux requis institutionnels. Je souhaite explorer ces questions des deux côtés pour voir comment les institutions s’occupent de ces défis que constitue la diversité des noms au Canada aussi bien que comment les individus « vivent leur nom » de manières différentes et avec des conséquences différentes.

[Les conventions des noms en Europe, en Afrique du Nord, et en Asie]

[Les conventions des noms en Europe, en Afrique du Nord, et en Asie]

Un sincère merci à la professeure Karen Pennesi.

Il me semble que les noms sont souvent pris pour acquis. Nous les considérons souvent comme un simple moyen de designer une personne, de la même manière que le mot ‘basilic’ désigne une herbe, herbe que j’aime justement énormément. Comme la Professeure Pennesi l’a indiqué, le nom d’une personne peut façonner ses expériences à la fois dans la façon dont elle se voit elle-même et dans la façon dont les autres interagissent avec elle.

A tantôt,

Michael Iannozzi

Floriane Letourneux, je te remercie beaucoup pour ton aide avec la traduction.

Qu’est-ce qui vous fait dire ça?

Aujourd’hui j’ai parlé avec la Professeure Molly Babel de l’Université de Colombie Britannique. Notre conversation a porté sur les interactions et sur comment nous tous, nous faisons des prédictions et nous créons des attentes lorsque nous rencontrons des gens. Ces dernières peuvent nous aider à nous mettre sur la même longueur d’ondes que notre interlocuteur, ou bien au contraire, à nous déconnecter avant même de l’avoir entendu parler.

Alors bonne lecture ! Notre entretien contient un peu de tout ce à quoi vous vous attendez : de la recherche, des stéréotypes, des Legos et Le Seigneur des Anneaux !

[Le labo d'UBC où Prof. Babel fait ses études]

[Le labo d’UBC où Prof. Babel fait ses études]

MI : Pour commencer, qu’est-ce que vous étudiez dans le langage ?

MB : Ce que j’étudie, c’est comment nous réagissons face aux variabilités phonétiques dans la langue orale ; à la fois dans la manière dont nous produisons nous-mêmes la langue et nous la montrons, mais plus du côté de nos comportements en tant qu’auditeurs, face à la variation dans la voix des autres gens. Pour faire plus simple : comment faisons-nous face au fait que personne n’émet les mêmes sons ? Comment gérons-nous aussi le fait que certaines de ces différences soient socialement significatives alors que d’autres, dont nous choisissons de nous déconnecter, restent juste en arrière-plan.

MI : Comment est-ce que nous nous identifions à notre société dans notre façon de nous exprimer et dans celle des autres ?

MB : Notre connaissance des gens et de la société se manifeste dans notre discours de deux manières: à travers notre manière de produire nous-mêmes du discours (production de discours) et à travers nos attentes quand nous imaginons les autres produire du discours (perception du discours).

À partir du moment où nous ouvrons la bouche, nous révélons nos caractéristiques sociales et individuelles. Notre voix fournit des signaux plus ou moins subtils quant à notre sexe, notre âge, nos origines, notre état émotionnel, etc.

Nous changeons nos modèles d’expression pour répondre à différents contextes sociaux : nous ne parlons pas de la même manière à notre famille ou à des étrangers, à des enfants ou à des personnes de notre âge, à des amis ou à des figures d’autorité. Ces changements sont les reflets grossiers de ce qu’est la formalité dans certains cas, mais nous faisons aussi des changements de style qui sont plus personnels et qui reflètent nos identités sociales.

En tant qu’auditeurs, nous créons des associations et en arrivons à nous attendre à certains modèles discursifs venant de certains individus ou groupes d’individus. Par exemple nous évaluons nos attentes pour les dimensions acoustiques comme la hauteur de la voix en nous basant sur le sexe de la personne parce que nous avons appris que les hommes ont généralement des voix plus basses que les femmes puisqu’ils ont tendance à être comparativement plus larges en terme de taille. L’apprentissage de ces modèles nous aide à traiter efficacement les voix que nous n’avons jamais entendues auparavant. Mais, ces modèles appris peuvent aussi dévier dangereusement vers le territoire des stéréotypes.

MI : Comment construisons-nous nos attentes quand nous pensons à la façon dont quelqu’un va parler ? Et comment réagissons-nous lorsque nous avons mal jugé le style de notre production et le leur ?

MB : Bon par exemple, vous sauriez des choses à mon sujet avant même d’avoir entendu ma voix. Vous construiriez une supposition grossière du son de ma voix en vous basant sur vos exemples précédents d’entretiens avec des professeurs.

Nous gardons aussi constamment à jour ces attentes. Un de mes étudiants et moi avons récemment publié un article sur ces questions (Babel & Russell, 2015). Nous avons pris 12 résidents nés en Colombie Britannique. 6 étaient des Canadiens blancs et 6 étaient des Sino-Canadiens ; tous sont nés en Colombie Britannique et tous sont des locuteurs natifs anglophones.

Nous avons créé un test d’intelligibilité en faisant lire des phrases à nos 12 locuteurs. Puis nous avons ajouté des bruits de fond à ces enregistrements ; autrement, ce serait trop facile de les comprendre. Nous avons ensuite présenté à des auditeurs des tests où ils pouvaient voir une photo du visage du locuteur et d’autres tests où ils ne pouvaient pas les voir. Nous avons fait faire l’expérience à 40 étudiants de l’Université de Colombie-Britannique.

Lorsqu’ils n’avaient pas la photo de la personne qu’ils étaient en train d’écouter, tout le monde était en gros également intelligible ; il n’y avait aucune différence. Cependant lorsque les gens voyaient la photo des locuteurs, l’intelligibilité des Canadiens chinois chutait.

Bien que ce soit là une triste conclusion, nous pensons qu’il est important d’en discuter dans l’espace publique. Nous avons réalisé beaucoup d’analyses avec ces données et les résultats suggèrent que les gens s’attendent tout simplement à ce que les locuteurs sino-canadiens aient un accent étranger. C’est un exemple d’attente qui est mauvaise. L’attente que vous pouvez avoir avant de me parler, selon laquelle je suis une femme, que j’ai en gros un certain âge, ou que je vais parler dans une certaine rangée de fréquences, c’est bon parce que ça vous aide à me comprendre.

Donc, votre question sur les attentes et sur comment on les tient à jour, est une question importante. L’une des choses que nous allons étudier ensuite est le temps nécessaire que ça prend aux gens pour se dire : « bon d’accord, ces Canadiens chinois n’ont pas d’accent étranger. Je peux y aller et traiter ce discours de la même manière que je le ferais pour n’importe quel autre locuteur du coin. »

MI : Est-ce à dire que le récepteur s’attendrait à avoir des difficultés avant de devoir s’arrêter et de corriger ce mauvais jugement ?

MB : Je ne dirais même pas qu’on s’attendrait à avoir des difficultés mais plutôt qu’on s’attendrait à autre chose et qu’on ne saisit pas vraiment ce à quoi on s’attendait  si bien que c’est cette incompatibilité qui affaiblit temporairement notre compréhension.

Par exemple, si vous entendiez d’abord ma voix et que j’avais un accent australien, vous vous diriez de votre côté « attends une minute » et ensuite, vous auriez à vous arrêter et à réajuster vos attentes.

Il y a une autre étude que j’aimerais réaliser et qui consiste à voir à quel point ces attentes sont basées sur la race et l’ethnicité. Les gens sont-ils mieux aptes à saisir si un locuteur a un accent local ou étranger en se basant sur son apparence ? En d’autres termes, à quel point nos attentes sur un locuteur de l’anglais canadien de Vancouver sont basées sur le fait d’être blanc ?

Pour revenir à votre première question, une manière de décrire ce que je fais serait de dire que j’étudie comment les stéréotypes et les a-prioris nous affectent en temps réel en ce qui concerne le traitement de la langue orale. Ces résultats sont souvent tristes mais ils sont importants parce qu’ils ont un vrai impact sur les gens.

MI : Comment les gens diminuent-ils ou agrandissent-ils la distance qui les sépare des autres dans une conversation grâce à leurs paroles? Et, que dit-on réellement en diminuant ou en agrandissant cette distance ?

MB : Si une personne veut décroître la distance sociale entre elle et un interlocuteur, elle peut augmenter la similarité de ses modèles discursifs à travers un procédé appelé ‘convergence’ : imaginez qu’elle veuille augmenter la distance sociale : elle peut écarter ses modèles de discours en les rendant moins semblables à ceux de son interlocuteur. On fait ce genre de changement dans les conversations pour préparer le terrain social de l’interaction.

On peut tout à fait diminuer ou augmenter l’intervalle entre nous et notre partenaire de conversation. Je me suis déjà retrouvée à des diners où je me plais à parler avec quelqu’un ; nous nous dirigeons complètement vers un terrain d’entente entre nos deux styles de discours et puis, là, d’un coup, cette personne dit une chose avec laquelle je ne suis pas d’accord ou que je peux trouver offensante. Je deviens alors une personne complètement différente en termes de style discursif pour le reste de la conversation.

MI : Avez-vous le sentiment que tout ça se fait automatiquement, ou bien est-ce que une chose qu’on apprend en voyant les autres le faire ?

MB : C’est une question compliquée. Dans une certaine mesure, nous nous engageons automatiquement dans ces modèles d’accommodation. Il est certain que nous ne sommes pas en train de nous dire : « Tiens donc ! Afin d’obtenir ce que je veux de cette conversation, je vais changer la prononciation de mes voyelles pour correspondre à celle de cette personne. » À un certain niveau, il se peut que nous soyons pleinement conscients de l’admiration qu’on porte pour une personne et que nous nous retrouvons en train d’imiter. Il existe des indices selon lesquels les comportements linguistiques imitatifs font partie de l’apprentissage de la langue mais nous apprenons certainement comment utiliser les stratégies d’accommodation dans des manières socialement appropriées. Une convergence excessive vers les modèles discursifs d’une personne est une très bonne manière de s’aliéner cette personne.

Ce que je veux dire par là, c’est que ça pourrait sonner faux ou trop manipulateur. Tous ces différents moyens pour s’accommoder les uns aux autres tandis qu’on parle sont, de plusieurs façons, des moyens de se manipuler les uns les autres. Néanmoins, on peut certainement en faire trop ou bien agir de manière trop flagrante.

MI : Comment les gens perçoivent-ils le discours des autres quand ils ont particulièrement proches, ou au contraire particulièrement distincts de leur propre accent ou dialecte ?

MB : L’appartenance à un groupe est importante pour nous en tant qu’humains et le fait d’identifier les autres comme appartenant à notre endogroupe, c’est-à-dire comme membres de notre groupe social, ou comme appartenant à notre exogroupe, c’est-à-dire étrangers à notre groupe, c’est une chose que nous faisons indéniablement. Lorsque nous entendons des individus parler comme nous, on les évalue positivement en partie parce qu’ils font partie de notre endogroupe. Les accents et les dialectes différents des nôtres viennent souvent, mais pas toujours, avec des étiquettes sociales.

Par exemple, de nombreux locuteurs de l’anglais nord-américain perçoivent les variétés britanniques comme paraissant plus intelligent. C’est basé sur des stéréotypes que nous avons créés et non pas à cause d’une caractéristique inhérente à l’anglais britannique qui le rendrait plus intelligent.

Si vous regardez un film, dans de nombreux cas, le héros ou le personnage le plus attirant physiquement parlent la variété la plus standard de la langue. J’ai récemment re-regardé les films de la saga « Le Seigneur des Anneaux ». Aragorn et Legolas, qui sont tous les deux beaux et héroïques, parlent avec un accent anglais britannique standard. Gimli, un nain, est sans doute moins séduisant mais c’est aussi un personnage moins important. Il parle avec un accent moins standard. Les medias aident aussi à perpétuer et à alimenter les stéréotypes et les associations sur les accents.

MI : Au-delà du parler d’une personne, y a-t-il des éléments qui façonnent la manière dont ils sont perçus lors d’une conversation ?

MB : Le discours et la langue ne sont que deux des nombreux signaux sociaux que nous utilisons pour évaluer les autres. Notre façon de nous habiller, nos odeurs, notre posture, nos expressions faciales : toutes ces choses sont des signaux sociaux que nous présentons et que les autres utilisent pour nous évaluer, pour le meilleur ou pour le pire. Par exemple, si quelqu’un porte beaucoup d’eau de Cologne ou de parfum, ça déclenchera chez nous certains jugements sur cette personne.

MI : Comment recueillez-vous les paroles que vous utilisez pour votre recherche et est-il important que ces paroles soient « naturelles » ou au moins prononcées par un locuteur à l’aise et confortable ?

MB : Nous utilisons différentes méthodes de collecte de langue orale pour différents types de projets. Parfois nous faisons lire à des gens des mots ou des phrases. Parfois nous faisons raconter aux gens des histoires ou dire des répliques de vidéos. Récemment Jen Abel, l’une de mes doctorantes, a recueilli des paroles provenant de binômes qui jouaient ensemble avec des briques Lego. En travaillant ensemble sur une tâche donnée, les deux individus [qui ne se connaissent pas] ont quelque chose à discuter, ce qui évite des pauses et des silences gênants, produisant ainsi un discours plus naturel.

Il est important pour les linguistes d’étudier de nombreux styles de langage car la langue est un système à multi-facettes et varié. Les différents styles nous montrent un éventail de choses que les locuteurs savent à propos de leur langue.

MI : Qu’est-ce que vous aimeriez faire ensuite pour votre recherche?

MB : Certains des projets de mes étudiants les plus récents ainsi que des miens ont consisté à étudier nos attentes et nos prédictions linguistiques. Concernant les évènements linguistiques imminents, ces dernières sont basées sur notre connaissance sociale ou linguistique et nous voulons savoir comment ces attentes interagissent avec notre véritable expérience afin de trouver ce que nous percevons en fin de compte.

MI : Qu’est-ce que vous préférez dans votre travail?

MB : La meilleure partie de mon travail c’est de pouvoir m’impliquer dans le processus de découverte. Nous avons beaucoup à découvrir sur le fonctionnement du discours !

[Forme d'onde de ma grand-mère qui dit,

[Forme d’onde de ma grand-mère qui dit, “That’s like back in the old days”]

 Un sincère merci à Molly Babel. Son travail a produit des résultats inconfortables sur les stéréotypes et les jugements. Ce sont néanmoins des résultats très importants parce qu’ils font partie de notre réalité quotidienne et touchent continuellement les gens.

L’importance de nos perceptions et de nos attentes lorsque nous nous parlons est que les stéréotypes peuvent être utiles : ils peuvent nous aider à identifier des situations et des émotions ; mais ils peuvent aussi être offensants comme l’a montré la recherche de la Professeure Babel.

Tandis que nous ne pensons pas consciemment, quand nous sommes présentés à quelqu’un, à une fréquence attendue de leur voix, notre cerveau fait ce bond. Notre cerveau peut aussi inconsciemment faire des bonds négatifs. Ainsi, si on est plus conscients de notre manière de former nos conceptions sur les autres, cela peut nous aider à réduire le mal que nous pouvons causer sans le vouloir. Ce n’est pas chose facile mais nous pouvons tous être d’accord que réduire les stéréotypes blessants est une bonne chose.

A tantôt,

Michael Iannozzi

Un gros merci à Floriane Letourneux pour son aide avec la traduction

C’est l’anglais canadien, tsé?

Cette semaine j’ai parlé avec Anastasia Riehl. Si le nom vous dit quelque chose, eh bien, merci ! C’est que vous êtes un fidèle lecteur de notre blogue et que vous vous souvenez probablement d’un entretien que j’ai eu avec elle et Abdullah Sherif à propos du travail que réalise l’Alliance de Toronto pour les Langues en Danger (ELAT). Cependant le professeur Riehl porte de nombreuses casquettes et, à l’Université Queen’s, elle est la directrice de l’Unité Linguistique Strathy (« Strathy Language Unit »).

Nous avons parlé de cette excellente ressource pour l’étude de l’anglais canadien.

 [L’un des nombreux projets de l’Unité Linguistique Strathy porte sur l’Île Wolfe, en Ontario.]

[L’un des nombreux projets de l’Unité Linguistique Strathy porte sur l’Île Wolfe, en Ontario.]

Michael Iannozzi : Tout d’abord, qu’est-ce que c’est, l’Unité Linguistique Strathy ?

Anastasia Riehl : L’Unité Linguistique Strathy est une unité de recherche à l’Université Queen’s dédiée à l’étude de la langue anglaise telle qu’on l’utilise au Canada. L’Unité a été fondée grâce à un legs d’un ancien étudiant de Queen’s, J.R. Strathy il y a presque 35 ans. M. Strathy s’intéressait beaucoup aux problèmes de l’usage de l’anglais et était consterné par le fait que la plupart des discussions de l’époque se concentraient sur la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Il a voulu créer une unité dévouée seulement à l’anglais canadien. C’était à l’époque, et ça le reste d’ailleurs aujourd’hui, un projet unique.

MI : Quand l’unité a-t-elle été fondée? Quels étaient ses objectifs premiers et comment ceux-ci ont–ils évolué ?

AR : L’attention de l’unité se portait à l’origine sur l’étude de l’anglais canadien « standard » et sur la production d’un guide d’usage. Ces initiatives restent des aspects importants du travail de l’unité mais ils ont aussi tous les deux changé au cours du temps. Un changement concerne notre notion mouvante de « standard ». Aujourd’hui la plupart des experts en linguistique ne prendraient pas au sérieux l’idée qu’il existe une seule manière correcte de parler anglais au Canada ou qu’il y a un ensemble de règles que nous devons tous suivre. Ça ne rend pas l’idée de « standard » hors de propos cependant ; mais cela ouvre plutôt des pistes de recherche intéressantes sur ce que nous considérons être le standard et pourquoi – et sur comment les facteurs sociolinguistiques comme l’âge, le sexe, la religion, l’ethnicité et le statut social, pour n’en nommer que quelques-uns, façonnent nos notions de standard. En fait, la première conférence tenue par l’Unité Linguistique Strathy s’appelait « À la recherche du standard » et cette perspective a alors été centrale pour l’unité pendant un moment. L’idée du standard reste aussi pertinente parce que beaucoup de gens se soucient beaucoup de ce qu’ils perçoivent comme de la bonne grammaire. Si un journaliste de votre journal local utilise un mot d’une manière que les lecteurs pensent être incorrecte, le journal recevra probablement des dizaines de lettres extrêmement mécontentes ! Pourquoi les gens se soucient tellement de la langue, et ce que les gens perçoivent comme correct sont aussi des questions intéressantes.

Une autre manière dont le travail à l’Unité a changé, et d’ailleurs assez drastiquement en seulement 35 ans, est due à l’avènement des nouvelles technologies. Aux débuts de l’unité, des équipes d’étudiants ont scanné des documents, utilisant des machines très grandes et très chères afin de créer une base de données numérique pour l’étude de langues. Un tel travail, qui a pris de nombreuses années, peut maintenant être réalisé en ligne en simplement quelques heures. La plupart des premières ressources que possédait l’unité étaient produites en copie sur papier et était distribuées en nombre limité. Le corpus d’anglais canadien, les séries d’articles de travail, une bibliographie de l’anglais canadien : toutes ces ressources sont maintenant disponibles en ligne pour un public bien plus large, tout comme les initiatives qui étaient impossibles à réaliser auparavant, comme notre site web et notre blogue.

MI : Et le corpus Strathy de l’anglais canadien, qu’est-ce que c’est ?

AR : Le corpus Strathy de l’anglais canadien est une base de données d’environ 50 millions de mots mis ensemble dans le dessein d’étudier l’usage et l’évolution de l’anglais au Canada, en gros sur la période 1970-2010. Pour la plupart, il est fait d’échantillons de langues mais il inclut aussi des transcriptions de langue orale. Le corpus était l’un des premiers projets majeurs de l’Unité. Lorsque le premier directeur, W.C. Lougheed, a commencé à assembler le corpus au début des années 80, c’était relativement nouveau comme travail. Depuis cette époque, la linguistique de corpus a vraiment décollé, aidé par des changements technologiques qui ont rendu beaucoup plus facile la tâche de collecter et de gérer de larges quantités de données.

En 2013, nous avons travaillé avec Mark Davies de l’Université Brigham Young [située à Provo dans l’Utah], qui accueille plusieurs larges corpus tels que le corpus de l’anglais américain contemporain et le corpus national britannique, afin de créer une version recherchable en ligne du corpus Strathy qui est dorénavant disponible sur son site.

MI : Pourquoi le corpus Strathy est-il différent d’un corpus entièrement oral ? Comment est-ce que la fiction et les documents minutieusement écrits sont utilisés pour l’étude de l’anglais canadien ?

AR : Puisque le corpus Strathy contient pour la plupart, mais pas entièrement, de la documentation écrite, il est différent d’un corpus oral de la même manière que la langue écrite est différente de la langue parlée. La langue écrite tend à être plus formelle et présente les changements plus lentement, certainement en termes de types de documentation traditionnelle dans le corpus Strathy, bien que cela puisse être moins le cas si nous parlons de blogues personnels, de SMS, de forums internet, etc. Aussi, des aspects de la prononciation ne sont en général pas captés dans la langue écrite.

Vous m’avez interrogée sur la fiction. Il y a une chose qui m’intéresse en particulier là-dessus, c’est de savoir comment les dialectes sont représentés dans les dialogues fictionnels ; aussi, quels aspects d’un dialecte est-ce que les écrivains choisissent de représenter ? Comment les représentent-ils ? Et à quel point ces aspects correspondent-ils à la vraie langue ? Durant les deux dernières années, nous avons eu des étudiants gradués du département d’anglais qui ont exploré ces questions. Un étudiant, par exemple, a examiné le dialogue de personnages aborigènes anglophones dans la littérature canadienne et a regroupé les représentations dialectales en différentes catégories, en incluant les variations phonétiques transmises grâce à l’orthographe comme <‘bout> for <about> et des accords verbaux non-standards comme <he come> au lieu de <he comes>.

MI : Pouvez-vous nous parler de certains buts de l’Unité Linguistique concernant les études de l’anglais canadien ?

AR : Nous avons pour but d’être une ressource de grande valeur pour les étudiants et les spécialistes de l’anglais canadien aussi bien que pour le grand public si bien que la plupart de notre travail se concentre sur la création et la distribution de ressources pour faciliter la recherche des gens et il se concentre aussi sur nos propres projets de collecte de données.

Certaines des ressources que nous avons créées et maintenues incluent la bibliographie Strathy de l’anglais canadien, nos séries épisodiques d’articles intitulées « Strathy Student Working Papers on Canadian English », le site web Strathy, le blogue qui, parmi d’autres choses, suit les histoires trouvées dans les medias sur l’anglais canadien, ainsi que le Corpus Strathy de l’anglais canadien que l’on peut trouver en ligne.

En ce qui concerne les projets, l’un de nos gros projets à long-terme consiste à enregistrer des histoires personnelles de résidents de l’Île Wolfe en Ontario. Nous avons mené des entretiens avec des résidents de l’île depuis quelques années maintenant, en transcrivant les enregistrements et ensuite en créant une base de données qui sera utilisée pour la recherche sur la langue et sur l’histoire locale. Nous sommes aussi en train de développer un nouveau projet pour lequel nous sommes plutôt enthousiastes et que nous appelons « la carte des voix canadiennes ». Nous devrions avoir plus d’infos à partager à ce sujet durant la prochaine année.

L’Unité accueille aussi de temps en temps des conférences, telle que la conférence de 2014 « Changement et Variation au Canada » ; elle soutient aussi financièrement le cours sous-gradué de linguistique « l’Anglais canadien » à l’Université Queen’s et finance la recherche étudiante et des voyages pour participer à des conférences.

MI : Parlez-nous de l’Île Wolfe; pourquoi elle-t-elle si importante pour l’Unité Strathy ?

AR : L’Île Wolfe est localisée sur le fleuve Saint-Laurent entre Kingston en Ontario et Cap-Vincent dans l’état de New York. C’est la plus grande des Mille-Îles et, à l’année, elle a une population d’environ 2 000 résidents. En 2010 nous avons commencé à enregistrer des insulaires en train de partager des histoires de leur vie et ce, en collaboration avec la Société Historique de l’Île Wolfe. Nous sommes en train de transcrire les entretiens et de créer un corpus pour la recherche linguistique et historique.

Nous avons choisi l’Île Wolfe comme site de recherche pour plusieurs raisons. D’abord, de nombreux résidents viennent de familles qui sont sur l’île depuis plusieurs générations avec des liens culturels et linguistiques très forts. Deuxièmement, jusque récemment, beaucoup de résidents ont vécu la vaste majorité de leur vie sur l’île, au sens physique où aller sur l’île et en sortir n’a pas toujours été disponible ou facile, et aussi en termes de communication, avec les services téléphoniques par exemple, qui sont arrivés plus tard sur l’île que dans les zones continentales à proximité. Cela signifie que beaucoup d’insulaires ont eu moins de contact avec des locuteurs anglophones extérieurs à leur communauté que ce qui était typique pour les habitants du continent. Ce qui nous a aussi encouragés à entreprendre le projet, c’est le soutien et l’enthousiasme de la Société Historique de l’Île Wolfe, un groupe local qui avait déjà collecté des histoires orales de résidents de toujours. Il y a énormément de fierté et d’intérêt pour l’histoire de l’île parmi les résidents, et cela a pour résultat un soutien exalté pour le projet au sein de la communauté.

MI : Qu’est-ce que le Guide de l’usage de l’anglais canadien ?

AR : Le Guide de l’usage de l’anglais canadien a été l’un des premiers projets principaux de l’unité. L’un des souhaits de M. Strathy était que l’unité produise un guide d’usage qui se tourne vers le Canada plutôt que vers la Grande-Bretagne ou les États-Unis comme modèles.

On considère généralement les guides d’usage comme des instruments de prescription qui disent aux gens quoi dire et comment le dire, ce qui est le contraire du travail descriptif des linguistes qui a pour but de décrire ce que disent les gens dans les faits, en se basant sur les observations de vrais discours. Ce guide d’usage est différent et d’une certaine manière n’est pas bien servi par le terme « guide d’usage ». Le livre se focalise sur les points lexicaux qui sont intéressants dans le contexte canadien : dans certains cas parce que les mots sont uniques au Canada mais, dans la plupart des cas, parce que les mots tendent à soulever des questions sur l’usage ou l’orthographe au Canada à cause de leur variabilité constatée. Dans ces entrées, les éditrices, Margery Fee et Janice McAlpine, visent à communiquer leurs observations sur comment les mots sont utilisés en se basant en partie sur la recherche avec le corpus Strathy, dans beaucoup de cas en incluant des citations exemples du corpus. C’est fait pour être un guide d’usage dans le sens où quelqu’un qui se demanderait ce qu’est le standard canadien pour l’usage ou l’orthographe d’un certain mot, pourrait consulter le guide ; cependant le guide de manière générale n’offre pas de réponse claire mais explique plutôt toute variation constatée.

Je dirais que ce guide parvient en fait à un bon équilibre entre les buts prescriptif et descriptif. L’introduction du guide inclut une très bonne discussion de ces perspectives souvent en concurrence.

MI : Comment est-ce que le travail effectué à l’Unité Linguistique a changé au cours des deux dernières décennies, notamment à cause des changements dans la composition démographique et ethnique de notre pays ?

AR : L’un des domaines de la recherche sur l’anglais canadien que je trouve les plus intéressants est comment nous considérons le rôle de l’anglais dans nos centres urbains de plus en plus multilingues comme Toronto ou Vancouver. Dans le dernier recensement, par exemple, seulement 51% des résidents de Toronto ont rapporté l’anglais comme langue maternelle. Comment est-ce que nous définissons un « standard » pour Toronto, et quelle sorte d’anglais est-ce que nous devons enseigner dans les écoles ? Quelles sont les variétés d’anglais parlées dans différentes enclaves ethniques ? Est-ce qu’il y a des caractéristiques de l’anglais de Toronto qui diffèrent de celles de l’anglais de Vancouver, étant donné les populations différentes de locuteurs de langues-héritages ? Il y a des projets de recherche intéressants en cours à l’Université de Toronto et l’Université de York, qui explorent certaines de ces questions.

MI : L’un des buts que vise l’Unité Linguistique Strathy est d’attirer l’attention du public sur la question de l’anglais canadien. Comment pensez-vous que le public peut être impliqué dans une discussion sur l’anglais canadien ?

AR : Le public, sans aucun doute, pense déjà à la notion de langue et en parle. À travers notre site web et notre blogue, nos projets et nos évènements, nous espérons encourager le public à réfléchir et à parler de ces questions dans le cadre de l’histoire et du paysage linguistiques uniques du Canada. Il n’y a pas si longtemps, le monde se tournait vers la Grande-Bretagne et puis plus tard, vers les États-Unis aussi, comme modèles de l’usage de l’anglais. L’anglais du Canada a sa propre histoire, ses propres caractéristiques et ses propres variétés qui méritent d’être étudiées et célébrées. Comme le Canada, d’autres pays à travers le monde épousent de plus en plus leurs propres variétés nationales plutôt que de se tourner vers des standards extérieurs.

MI : Votre façon de parler est-elle typiquement canadienne ?

AR : Je suis originaire du Midwest des États-Unis. Mais, après avoir vécu dans différentes communautés anglophones en Amérique du Nord et ailleurs, je dirais que mon anglais est maintenant hybride ! Étant donné la région où j’ai grandi, je possède en effet beaucoup de caractéristiques typiquement associées avec l’anglais canadien… Des expressions comme « pop » [NDT « boisson gazeuse »] au lieu de « soda » et des aspects de prononciation comme la fusion des voyelles postérieures : « cot » et « caught » sont prononcées de la même manière. Bizarrement, ma façon de parler est à de nombreux égards plus canadienne que celle de mes étudiants dont la plupart viennent du sud de l’Ontario. Par exemple, j’utilise la version « positive » de « anymore » [NDT : en général, « anymore » est associé avec la négation « not » pour exprimer « ne… plus ». Ici, la négation n’est pas utilisée, d’où le côté « positif ». Le sens est alors totalement différent], comme dans « Kids grow up fast anymore. » [NDT : Les enfants grandissent vite de nos jours.]. C’est une caractéristique syntaxique parfois associée avec le Canada mais je n’ai toujours pas rencontré, durant les 5 dernières années, un seul étudiant dans mon cours d’anglais canadien pour qui cette tournure est grammaticalement correcte.

MI : Quelle est votre caractéristique préférée du parler canadien ?

AR : J’imagine que mes caractéristiques préférées sont celles qui, même après avoir vécu des années au Canada, attirent mon attention à chaque fois que je les entends et que je ne peux pas m’imaginer les dire moi-même. Une chose que je remarque plusieurs fois chaque jour, c’est : « be done » ou « be finished » suivis d’un complément d’objet direct comme dans « I’m done the dishes » [NDT : les deux expressions n’acceptent ‘normalement’ pas de compléments. Ce sont des tournures passives qui montrent un état (avoir fini) et surtout, ce sont des tournures intransitives. Un peu comme si on disait « C’est fini la vaisselle »]. A chaque fois que j’entends ça, mon alarme de l’« agrammatical » se déclenche dans ma tête ! Grâce à tout ça, mon travail reste sympa et intéressant.

[Des assistants de recherche à fond au travail à l’Unité Strathy.]

[Des assistants de recherche à fond au travail à l’Unité Strathy.]

Merci à Anastasia Riehl d’avoir accepté une deuxième entrevue pour notre blogue.

En tant que locuteur natif de l’anglais canadien, il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’il y avait quoi que ce soit de régional ou de canadien dans la formule « I’m finished the interview ». J’utilise ce type de tournure tout le temps et bien, maintenant j’ai une chose de plus à tester sur moi-même mais seulement après que c’est fini l’article du blogue.

L’Unité Linguistique Strathy est une excellente ressource pour les chercheurs, les apprenants de l’anglais canadien et tous ceux qui s’intéressent à la façon de parler des Canadiens. L’Unité a tellement de projets et de ressources sur la brèche et il y en a beaucoup que nous n’avons pas couverts dans cette entrevue ; alors, si vous voulez en apprendre plus, vous devriez absolument aller fourrer votre nez dans leur site web.

 

À tantôt hein,

 

Michael Iannozzi

Merci Floriane Letourneux pour ton aide.

 

Journée nationale des Autochtones

Tout au long du moins de juin, j’ai posté des tweets sur les traductions des jours de la semaine en différentes langues inuites ou des Premières Nations du Canada. Eh bien, aujourd’hui nous sommes le 21 juin et ici au Canada, c’est aussi la Journée nationale des Autochtones !

L’histoire des peuples métis, inuit et des Premières Nations nous parle de peuples dont les cultures et les sociétés sont complexes, perspicaces et uniques comme aucune autre au monde. Ces différentes histoires ne sont pas juste celles de ces peuples : il s’agit aussi de l’histoire du Canada et de notre patrimoine commun aujourd’hui.

Sur le site web de la Journée Nationale des Autochtones, il est dit « [Aujourd’hui] il s’agit d’une occasion spéciale de souligner le patrimoine unique, la diversité culturelle et les réalisations remarquables des Premières Nations, des Inuit et des Métis au Canada. » Tandis que nous nous efforçons de le faire aujourd’hui, je crois qu’il est tout aussi important de réfléchir à entrer en contact avec l’histoire, les cultures et les réalisations des Autochtones d’une manière significative et ce, chaque jour. Pour certains Canadiens, il peut sembler que les peuples autochtones du Canada soient une toute autre culture et, étudier leur histoire et leur culture peut ainsi revenir à étudier l’histoire et la culture d’un groupe de gens vivant dans un pays très lointain ou ayant vécu il y a très longtemps. Mais c’est évidemment une vision erronée ; ces histoires, ces cultures, ces patrimoines sont ceux de personnes qui ont vécu ici, sur la terre où je suis en train d’écrire ce texte en ce moment-même et très probablement sur la terre où vous-mêmes êtes en train de lire cet article, et certainement sur la terre de ce qu’est aujourd’hui la nation canadienne.

Nous le devons par conséquent à nous-mêmes, aux peuples autochtones et en fait au Canada en tant que tout collectif, fait de chacun d’entre nous, autochtone ou pas, de connaitre l’histoire de notre terre et des peuples qui nous ont précédés et qui sont toujours présents.

J’aimerais proposer, dans l’esprit de la Journée Nationale des Autochtones, que vous appreniez des choses sur le ou les peuple(s) qui partagent ou ont partagé la terre sur laquelle vous êtes assis en ce moment ; et, puisqu’il s’agit de la page d’un Musée des Langues, que vous appreniez quelque chose à propos de la langue qu’ils parlent !

Par exemple, pendant que je suis en train d’écrire tout ceci, je me trouve dans la maison de mon enfance (et de mes parents !) à Sarnia en Ontario. La terre sur laquelle je suis assis maintenant est celle des Niswi-mishkodewin, c’est-à-dire les Conseils des Trois –Feux. Il s’agit plus précisément des nations des peuples ojibwé, outaouais, potawatomi. Je me suis donc aujourd’hui donné le défi d’apprendre des mots anishinaabe (ojibwé) et, par là-même, d’apprendre aussi des choses sur la culture et sur l’histoire de ces nations.

C’est donc un petit défi que j’aimerais vous lancer aujourd’hui. Si vous êtes en train de lire ce texte, c’est que vous adorez probablement les langues et que vous avez aussi probablement une place pour le Canada au chaud tout contre votre cœur ; je ne peux alors pas trouver de meilleure manière de marier ces deux amours autrement qu’en en apprenant un peu sur l’une des nombreuses langues de l’une des nombreuses nations autochtones que sont les peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui vivent ou ont vécu, ici, au Canada.

 

Alors, miigwech (« merci ») et giga-waabamin menawaa (« à plus tard »).

 

Ganawenindiwag (« prenez soin des uns des autres »),

 

Michael Iannozzi

Un gros merci à Floriane Letourneux pour son aide à traduction

[Crédit photo : AADNC.ca]

[Crédit photo : AADNC.ca]

La documentation linguistique cartographiée

Cette semaine j’ai parlé avec la professeure Marie-Odile Junker de l’Université Carleton. Originaire de France, elle s’est éprise des langues autochtones de notre pays après son arrivée au Canada. C’est maintenant une experte dans plusieurs domaines et elle excelle à créer des ponts entre les disciplines, à connecter les gens et à mettre sur pieds des projets. Voilà toutes les choses essentielles à la documentation et à la revitalisation linguistiques. Elle a aussi incorporé l’informatique et les supports numériques dans son travail sur les langues algonquiennes sans jamais oublier les personnes qui se trouvent derrière les données.

J’ai parlé avec elle de sa vision de l’informatique en tant qu’outil utile pour aider les langues à survivre, et aussi de son travail sur l’Atlas linguistique algonquien, qui incorpore beaucoup de langues, de peuples et de technologies. Vous devriez vraiment aller jouer sur ce site (après avoir d’abord lu cet article bien évidemment !).

[voilà à quoi ressemble l’incroyable Atlas linguistique algonquien ; cliquez pour agrandir l’image]

[voilà à quoi ressemble l’incroyable Atlas linguistique algonquien ; cliquez pour agrandir l’image]

Michael Iannozzi : Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager dans la documentation linguistique ?

Marie-Odile Junker : J’ai constaté le manque de ressources pour l’enseignement des langues autochtones canadiennes , j’ai trouvé ces langues très belles et merveilleusement différentes de ce que je connaissais, j’en suis en quelque sorte tombée amoureuse.

MI : Comment vous êtes-vous impliquée en particulier dans la documentation des langues algonquiennes.

MO.J : En tant qu’immigrante venue de France et curieuse d’apprendre les langues de ce pays, je me suis rendu compte qu’on pouvait apprendre à peu près toutes les langues issues de l’immigration, mais pas les langues autochtones. À Ottawa, la langue originelle aurait été une langue algonquienne.

MI : Quelles sont les langues qui forment la famille algonquienne ? Où est-ce qu’on les parle ?

MO.J : C’est l’une des plus grandes familles d’Amérique du Nord, du point de vue du territoire couvert, si ce n’est par son nombre de locuteurs. Les dialectes cri-innu et les dialectes ojibwé forment les langues algonquiennes centrales tandis que les langues comme le micmac et le malécite constituent les langues algonquiennes orientales.

MI : Quel est l’état de santé général des langues algonquiennes?

MO.J : Cela dépend de la communauté et de sa situation géographique: certains ont perdu leur langue, d’autres continuent de la transmettre à leurs enfants, mais la plupart de ces langues sont en danger.

MI : Votre recherche se concentre beaucoup sur l’utilisation des moyens technologiques modernes pour des objectifs de documentation et de revitalisation linguistiques. Selon vous, quel rôle la technologie a-t-elle à jouer dans la survie de ces langues ?

MO.J : L’informatique et l’internet jouent un rôle dans le développement d’une intelligence collective d’une manière sans précédent par le passé. Si certaines langues ne sont pas représentées ou utilisées à l’ère numérique, si elles n’infusent pas les technologies de communication disponibles et, si ceux qui les parlent doivent les abandonner afin de communiquer entre eux, ces langues ne feront alors pas partie du développement de cette intelligence collective ; et ça, c’est une perte pour l’humanité dans son ensemble. [NDR : « intelligence collective » : la professeure Junker fait là référence à l’idée que les informations sont disponibles à la société dans l’ensemble. Ce qui était autrefois un savoir spécialisé, ou bien disponible seulement à un certain groupe est dorénavant disponible à la société collectivement grâce aux technologies modernes].

MI : Pensez-vous que l’ère informatique a aidé ou bien a nui au futur des langues autochtones?

MO.J : Probablement les deux, mais seul le temps le dira. C’est comme de demander si un scooter des neiges a aidé ou a nui à la chasse ou bien si les téléphones cellulaires ont aidé ou ont nui à la communication entre les êtres humains…

MI : Quelles sont les ressources que vous avez utilisées pour décider comment commencer votre documentation linguistique ? Y a-t-il eu des précédents de réussites avec d’autres langues qui vous ont dirigé vers une démarche ?

MO.J : Je n’avais pas de modèles dans mon domaine. J’ai utilisé une approche appelée « Recherche-Action Participative » qui a été inventée dans des domaines comme le Développement International. Puis, je me suis demandée comment l’appliquer en linguistique. Avec la RAP, on se concentre sur la procédure de recherche ; je me suis alors posé la question : en tant que linguiste, comment est-ce que je fais de mon intervention dans une communauté quelque chose qui bénéficierait à des locuteurs et qui leur donnerait les moyens pour ce qu’ils souhaitent pour leur langue ? Est-ce qu’ils se sentent estimés ? Est-ce qu’ils apprécient leur langue après avoir travaillé avec moi ? [NDR : Bien que le terme ‘Action-Recherche Participative’ semble complexe, la réponse qui suit est une très bonne illustration de son fonctionnement dans la pratique.]

MI : Tournons-nous maintenant vers l’énorme projet que représente l’Atlas linguistique algonquien : comment avez-vous décidé de mettre en place ce projet ?

MO.J : C’est venu petit à petit comme un projet secondaire qui s’est développé à partir de l’intérêt des locuteurs. C’est comme ça que marche la Recherche-Action Participative. En 2002, j’ai créé un CD de conversation qui contient 21 sujets de conversation pour le cri de l’Est; c’était aussi un projet secondaire pour susciter plus complètement l’intérêt des jeunes locuteurs de cri que j’avais engagés lors d’un projet d’été pour travailler sur une base de données des conjugaisons des verbes en cri. Je m’inquiétais du fait qu’ils ne verraient pas la fin de ce projet de documentation sur les verbes : ça a pris 15 ans de plus pour le terminer ! Ce CD s’est propagé tel un virus et peu après, d’autres groupes m’ont demandé la permission de l’adapter à leur propre dialecte.

Le moment décisif a eu lieu après avoir donné une conférence et participé à un atelier lors d’une conférence de langue autochtone à Prince Albert en 2004… Deux femmes cries me ramenaient en voiture. Elles avaient participé à mon atelier sur les enregistrements sonores et la documentation lors duquel nous enregistrions des mots et des expressions communes de leurs très nombreux dialectes. Elles m’ont alors demandé de leur donner une copie de la carte de la famille linguistique du cri-innu, carte que je leur avais montrée. Elles n’avaient jamais compris qu’elles faisaient partie d’une famille de langues qui s’étendait à travers le pays jusqu’à l’océan atlantique ! L’idée suivante m’a alors traversé l’esprit : sons + carte ? Et pourquoi pas ne pas les mettre ensemble ? J’aimerais d’ailleurs rendre hommage à ces deux femmes pour ce moment magique.

On a ensuite fabriqué un prototype, puis est venu le financement, et les cartes Google ont été disponibles la même année, en 2005. Il s’agissait d’abord seulement du cri-innu mais 3 ou 4 ans plus tard, nous avons reçu des demandes pour d’autres langues et dialectes. On a développé notre travail pour les inclure et ainsi de suite.

MI : Quels étaient les obstacles et les défis quant à la mise en commun d’un projet aussi vaste et à l’implication d’autant de personnes ?

MO.J : Quelques défis techniques: devoir reprogrammer dans la durabilité les logiciels (qui fonctionnent sur des serveurs bas de gamme), devoir s’adapter aux préférences techniques et à l’expertise des contributeurs. Nous avons fait l’expérience de beaucoup de bonne volonté. Certaines personnes ou certains groupes continuent de me contacter pour nous rejoindre. En général, ça ne prend qu’une personne volontaire pour travailler avec nous. Ils veulent être représentés ici. C’est ouvert à tous et le travail est collaboratif si bien que les contributeurs peuvent faire ce qu’ils souhaitent avec leur matériel après.

MI : Qu’est-ce que les communautés impliquées ont ressenti face à vos efforts et, qu’est-ce qu’ils ressentent maintenant qu’ils peuvent voir le produit fini ?

MO.J : En général ils adorent. Ils ressentent de la fierté à être représentés et ils apprécient pourvoir écouter leurs cousins et leurs voisins. Plus récemment la production de versions mobiles (les applications) est extrêmement populaire. L’application de conversation de cri de l’Est a été téléchargée plus de 1 120 fois, rien que sur iOS.

MI : Comment une communauté linguistique peut-elle promouvoir, documenter ou revitaliser sa langue grâce aux nouvelles technologies?

MO.J : Je crois que la réponse dépend de la situation. C’est comme de demander comment promouvoir le logement avec des outils électriques. Je pense qu’il est très important de penser aux nouvelles technologies comme un outil, pas comme une fin en soi ; et de penser aux locuteurs comme des usagers (ou non) ; sinon, on se retrouvera avec des machines qui parlent ou écrivent des langues mortes. [L’analogie avec les outils électriques peut sembler curieuse au premier abord mais c’est une excellente manière d’illustrer le problème–clé de la documentation. Vous pouvez très bien avoir les meilleurs outils, les technologies les plus récentes et les plus avancées, mais ce ne sont pas les technologies qui sauvent une langue. Ce sont les gens qui utilisent les outils.]

MI : Dans le passé le rôle d’un linguiste documentaliste consistait à aller sur le terrain et à enregistrer ou à transcrire des discours. Comment est-ce qu’Internet et les appareils modernes ont-ils modifié cela ?

MO.J : Avec Internet, nous voyons maintenant la possibilité de se procurer des données en masse (ce que nous ne faisons pas dans l’atlas linguistique). Il se peut bientôt que le problème soit paradoxalement d’avoir trop de données disponibles qui ne sont ni structurées ni éditées.

Le changement pour moi a été à la fois en termes de technologie et en termes d’approche. Quelqu’un peut toujours très bien aller sur le terrain mais utiliser la vidéo au lieu de crayons pour enregistrer les discours et ensuite archiver ces vidéos dans les bibliothèques et les dépôts, avec les locuteurs mis à l’écart de l’équation. L’utilisation d’un cadre basé sur la Recherche-Action Participative en combinaison avec les technologies, c’est ça qui a créé l’atlas.

MI : Quel est justement le rôle d’un linguiste documentaliste de nos jours?

MO.J : En considérant la crise à laquelle nous faisons face, avec des langues qui disparaissent aussi vite que la biodiversité, leur rôle se trouve dans leur titre même: « documenter » ; mais il s’agit aussi d’aider à préserver pour les générations futures, si ce n’est pour les héritiers actuels. J’ajouterais aussi qu’il s’agit d’ « insuffler la vie » à ces langues en travaillant avec des locuteurs qui souhaitent qu’elles survivent. Tout le monde ne souhaite pas cela ; on peut voir des alternances de modèles générationnels. Par exemple, il existe des cas de réclamation linguistique comme pour le same (le lapon) en Scandinavie, avec des grands-parents bilingues, des parents qui ne parlaient pas la langue du tout ou qui en sont devenus des locuteurs seconde-langue, et maintenant des petits-enfants bilingues première langue.

MI : Que pensez-vous que sera le rôle d’un linguiste documentaliste à l’avenir ?

MO.J : Je ne suis pas sure, mais je soupçonne qu’ils seront très occupés à moins qu’il ne reste plus rien à documenter.

MI : Qu’est ce que vous préférez dans votre travail?

MO.J : Mettre les gens en contact, entrer en contact avec eux, faciliter le partage des ressources, faire de l’analyse linguistique, m’émerveiller devant la diversité linguistique, entendre les gens parler dans leurs langues si différentes et si belles…

MI : Quelle a été la chose la plus importante que vous ayez apprise grâce à votre travail sur les langues et les communautés autochtones?

MO.J : Rien ne se passe jamais comme prévu mais quelque chose d’intéressant finit toujours pas arriver.

MI : Qu’est-ce que vous aimeriez faire ensuite, ou plutôt, où est-ce que vous aimeriez voir le projet de l’atlas se diriger ensuite ?

MO.J : Nous avons reçu des financements pour 5 ans pour développer une infrastructure numérique pour les langues algonquiennes, en particulier pour des dictionnaires. Je vois bien l’atlas devenir un portail pour les ressources de ces langues, toujours avec l’intention initiale de permettre aux groupes de ne pas avoir à réinventer le monde, mais de partager des ressources pédagogiques ou tout ce qui est nécessaire pour garder leur langue en vie et maintenir celle-ci en vie avec les moyens de communication modernes.

 [Les langues de l’Atlas. Même celles parlées par seulement quelques personnes, comme le mitchif, font partie de cet atlas.]

[Les langues de l’Atlas. Même celles parlées par seulement quelques personnes, comme le mitchif, font partie de cet atlas.]

Un énorme merci à la professeure Junker de m’avoir parlé de son immense travail.

Récolter des données sur les langues représente une quantité énorme de travail. Même si les nouvelles technologies peuvent aider à répandre les informations rapidement et sur d’immenses distances, vous vous retrouvez dans la situation de l’arbre qui tombe au milieu de la forêt sans bruit, si vous n’avez personne pour les utiliser. Grace à des données définissables par les usagers et à des logiciels de plus en plus faciles d’utilisation, le partage d’informations avec des gens à travers le monde est plus simple que jamais.

Le but et le succès de la récolte de données et de la préservation d’une langue sont tels que, même si la communauté n’a pas besoin de ces ressources aujourd’hui, nous tous, en tant que société, laissions aux futures générations les outils pour raviver leurs langues.

Allez jeter un coup d’œil à l’Atlas linguistique algonquien de la Professeure Junker et vous vous sentirez peut-être inspirés pour commencer votre propre projet !

 

A tantôt,

Michael Iannozzi

Merci bien à Floriane Letourneux pour son aide.

 

 

Combattre le sentiment d’infériorité linguistique

Cette semaine, je me suis entretenu avec la professeure Annette Boudreau de l’Université de Moncton. Ce qu’elle étudie ? Nous en avons presque tous fait l’expérience dans une certaine mesure : l’insécurité linguistique. C’est l’idée selon laquelle votre manière de parler n’est pas assez bonne, que vous ne parlez pas aussi bien que certaines autres personnes qui, elles, selon vous, parlent « correctement ». C’est évidemment un sentiment compliqué pour de nombreuses personnes, et particulièrement pour les minorités linguistiques. Je laisse la professeure Boudreau expliquer ce qui l’a menée en premier à ce travail :

[Professeure Annette Boudreau]

[Professeure Annette Boudreau]

Annette Boudreau : Mon travail comme sociolinguiste et plus particulièrement sur les idéologies et les représentations linguistiques n’est pas dû au hasard. Si je me suis intéressée au phénomène de l’insécurité linguistique, c’est parce que j’ai pu en observer les signes tangibles chez mes étudiants à l’Université de Moncton et en fait, pour autant que je m’en souvienne, tout autour de moi depuis mon adolescence. Je m’explique.

Avant d’enseigner la linguistique, et plus particulièrement la sociolinguistique, j’ai enseigné des cours de langue française aux étudiants inscrits en première année à l’Université de Moncton, des cours obligatoires pour tous les étudiants (sauf pour les quelques-uns qui en sont exemptés). Or je me suis vite rendu compte que les francophones issus des milieux où le français est minoritaire prenaient moins la parole que ceux des milieux majoritaires et de plus, j’ai pu observer que les premiers avaient intériorisé un sentiment d’infériorité. Or, ce sentiment n’était pas nécessairement lié aux compétences réelles des personnes. À la même époque, une collègue, Lise Dubois, qui enseignait en traduction, observait aussi une grande insécurité linguistique chez les étudiants du sud-est du Nouveau-Brunswick, milieu minoritaire. Sur la base de nos deux constats, nous avons donc décidé en 1989 de réaliser une enquête dans toutes les écoles secondaires francophones du Nouveau-Brunswick en faisant passer un questionnaire écrit aux élèves de 12e année (environ 1000 étudiants) puis en réalisant des entretiens avec 10 % d’entre eux (choisis au hasard). Les résultats furent concluants. Les étudiants des milieux minoritaires dévalorisaient davantage leurs pratiques linguistiques que ceux des milieux majoritaires.

Après cette enquête terminée, j’ai écrit une thèse sur le sujet et je ne cesse d’y travailler depuis. Mais j’explore aujourd’hui les discours qui contribuent à expliquer le phénomène et je les étudie dans une perspective historique.

[Quelques publications]

L’insécurité linguistique dans les communautés francophones périphériques. Actes du colloque de Louvain-la-Neuve.

L’insécurité linguistique comme entrave à l’apprentissage du français

Langues minoritaires et espaces publics : le cas de l’Acadie

 


Michael Iannozzi : Pour commencer, qu’est-ce que l’insécurité linguistique?

Annette Boudreau : Michel Francard, linguiste belge, définit l’insécurité linguistique comme une quête de légitimité linguistique. En fait, l’insécurité linguistique veut aussi dire le sentiment que ressent un individu lorsqu’il pense ne pas produire des énoncés selon un modèle imaginé ou attendu, c’est-à-dire lorsqu’il pense que ses pratiques linguistiques ne sont pas adéquates. Les principales manifestations de l’insécurité linguistique, définies par le sociolinguiste américain William Labov (en 1972), visibles dans les situations formelles de communication, sont les suivantes :

  • L’hypercorrection : le locuteur va tellement vouloir éviter de faire des fautes qu’il va en faire sans le vouloir. Par exemple, usage fautive des relatives : (usage du dont au lieu du que), vocabulaire inapproprié pour faire plus savant.
  • Les reprises, les reformulations (par exemple, redire le terme en vernaculaire)
  • L’entretien de sentiments négatifs à l’égard de sa manière de parler.
  • La perte de ses moyens, c’est-à-dire ne plus pouvoir trouver les mots qui conviennent dans une situation donnée.

MI : Quelles sont quelques causes potentielles qui rendent quelqu’un moins assuré linguistiquement ?

AB : Les causes sont nombreuses et varient selon les groupes et selon les individus.

  1. La situation sociale reliée à la scolarisation peut être considérée une cause de l’insécurité, c’est–à-dire que les gens de classes sociales défavorisées peuvent ressentir un certain degré d’insécurité linguistique mais tout dépend des situations et des métiers exercés. Pour certaines personnes, peu importe les classes, la façon de parler ne constitue pas une question importante.
  2. En fait, pour ressentir un sentiment d’insécurité linguistique, il faut avoir développé une conscience des différentes façons de parler et surtout avoir conscience de parler une langue, un français différent de celui qui est considéré comme le français le plus prestigieux. Les personnes très conscientes de la norme sont celles qui sont plus susceptibles de ressentir un sentiment d’insécurité linguistique. Je dirais aussi que les gens qui vivent dans les marges de la langue légitime sont plus aptes à ressentir des sentiments d’insécurité linguistique.
  3. Pierre Bourdieu, sociologue français, ne parle pas de langue standard mais de langue légitime et j’aime bien le terme parce qu’une langue peut être légitime et dotée de valeurs sur un marché (le marché officiel comme il l’appelle) et non légitime sur un autre marché (sur le marché franc selon le terme de l’auteur) ou encore sur le marché des pairs. Bourdieu compare la circulation des langues à la circulation de la monnaie ; les deux circulent sur des marchés et obtiennent des profits selon la valeur qui leur est accordée. Or la langue légitime est dotée d’une grande valeur sur le marché officiel des langues (situation formelle de communication), tandis que la langue vernaculaire est dotée de valeurs de solidarité (par exemple) sur d’autres marchés où il est important de parler comme les gens de la place.

MI : Est-ce que la perception de l’équilibre des pouvoirs est importante pour l’assurance des personnes qui parlent/ des locuteurs ?

AB : Oui bien sûr, elle est centrale. Bourdieu a bien montré que les détenteurs de la langue légitime peuvent exercer ce qu’il appelle un pouvoir symbolique (et même une violence symbolique) lorsqu’ils sont en contact avec des locuteurs qui possèdent moins cette variété ou qui sont en position d’infériorité sociale. Les détenteurs du capital légitime peuvent aller jusqu’à faire perdre leurs moyens aux autres, aux exclus de ce capital. Ces derniers ressentent cette violence et ils peuvent choisir de se taire, solution ultime.

MI :Y a-t-il des éléments lexicaux de l’autre participant qui jouent un plus grand rôle pour rendre quelqu’un sûr, ou non, linguistiquement ? Ou est-ce que ce sont plutôt les/ des choses plus subconscientes ?

AB : Oui les éléments lexicaux jouent un rôle quand, par exemple, on ne trouve pas le mot qu’il faut au moment convenu. Mais je crois plutôt que les dynamiques en jeu lors des conversations et qui produisent de l’insécurité linguistique relèvent davantage des relations de pouvoir qui s’exercent ou non dans l’échange et que ces relations de pouvoir ne peuvent se comprendre sans examiner les conditions sociales dans lesquelles interviennent ces échanges. Les êtres humains ont tous une histoire personnelle, sociale et historique, et c’est cet habitus (pour encore user de la terminologie bourdieusienne) qui est présent dans une conversation et il convient d’en tenir compte.

MI : Comment étudiez-vous quelque chose de si/ d’aussi difficile à observer naturellement ?

AB : La question est bonne – pas facile à mesurer. J’ai étudié l’insécurité linguistique en faisant des enquêtes comme je l’ai expliqué plus haut (par questionnaire et entretiens), mais surtout en observant les gens (ici les Acadiens) dans différentes situations de communications, des gens qui avaient à prendre la parole lorsqu’ils étaient en situation d’interview à la radio, ou lorsqu’ils parlaient à des francophones d’ailleurs (changement de registre ou affirmation d’une contre-légitimité en affichant de façon ostentatoire le vernaculaire – autre facette de l’insécurité linguistique). En effet, une façon de s’affranchir de la domination d’une norme exogène, c’est d’afficher sa différence, phénomène très visible chez certains artistes acadiens.

MI : Comment est-ce que le statut social du français au Canada affecte l’insécurité des Francophones ?

AB : Le statut social du français exerce indéniablement un effet sur l’insécurité linguistique des gens. Chantal Bouchard (1998) a montré que les Québécois ont dévalorisé leur langue à partir du milieu du 19e siècle (lorsqu’ils ont pris connaissance que le français des Français avait évolué de façon différente du leur) et ce jusqu’aux années 1960 où la situation a commencé à changer parce que les Québécois ont décidé de décrire leur langue, et aussi parce qu’ils ont pris des mesures gouvernementales pour contrôler leur économie et leurs institutions. En Acadie (au NB, en NE et à l’Île-du – Prince Édouard), les francophones n’ont pas les mêmes pouvoirs. Au Nouveau-Brunswick, la province est officiellement bilingue, les Acadiens ont obtenu la dualité en éducation, mais il reste que dans les régions minoritaires surtout, les locuteurs ont intériorisé l’idée que leur langue n’est pas aussi valable socialement. Ils n’ont pas nécessairement tort. La plupart sont bilingues – anglais et français – et ils savent qu’ils peuvent se débrouiller partout en parlant l’anglais. Dans nos enquêtes, on a pu montrer que les Acadiens sont très attachés au français – la langue du cœurs, qu’ils sont «fiers » de la parler, mais qu’ils savent par expérience que l’anglais est la langue des affaires, la langue passe-partout. Donc oui, le statut social du français affecte l’insécurité linguistique.

Il existe pour les francophones différentes formes d’insécurité, une insécurité statutaire et une insécurité formelle (Calvet 1999). L’insécurité statutaire est liée au statut alors que l’insécurité formelle est liée à la manière de parler. Par exemple, les francophones du Canada peuvent être sécures sur le plan de leur statut ( + ou – selon les provinces par exemple), mais en même temps être insécures sur le plan formel, c’est-à-dire penser qu’ils ne parlent pas la langue selon les normes attendues.

MI : Que nous conseillez-vous de faire pour nous rassurer un peu plus avec notre langage/ langue ?

AB : Deux choses :

  1. travailler sur les représentations – prendre conscience que la variation est le propre de toutes les langues, qu’il n’existe pas un modèle unique, une seule façon de parler une langue, que les manières de parler varient selon les conditions de production du langage, c’est-à-dire selon les variables suivantes : selon la scolarisation, selon le milieu social, le milieu géographique, selon l’idée que le locuteur se fait de la norme, que le groupe auquel il appartient se fait de la norme ; en effet, il est important de briser l’idéologie du standard , l’idée consistant à croire qu’il n’existerait qu’une seule variété valable, la même pour tous, pour tous les locuteurs d’une langue.
  2. Apprendre les éléments lexicaux et morphosyntaxique de la langue….

MI : Quel rôle jouent les instituteurs dans les écoles primaires en ce qui concerne la sécurité linguistique des enfants ?

AB : Ils peuvent jouer un grand rôle pour faire en sorte que les élèves comprennent qu’il existe différentes façons de parler une langue, que certaines sont valorisées, d’autres non, qu’elles sont toutes valables, mais que socialement certaines ont plus de valeurs que d’autres. Donc l’idée, c’est de partir des pratiques linguistiques des élèves pour les amener à élargir leur répertoire ; non pas mettre de côté la langue apprise à la maison, mais travailler à partir de celle-ci pour élargir le répertoire de l’élève. Le répertoire comprend le vernaculaire de la maison, les pratiques bilingues, la langue standard (ou légitime) etc.

MI : Qu’est-ce que vous aimez le plus en étudiant la sécurité linguistique ?

AB : Ce qui me motive, c’est d’essayer de montrer à quel point les discours négatifs sur les pratiques linguistiques des locuteurs sont reliés à une forme de rejet de l’autre et que les conséquences de ces discours sont énormes comme je l’ai déjà montré : certaines personne n’osent plus parler, d’autres vont être très conscientes de leurs pratiques, ce qui les empêche de communiquer correctement ou encore leur font faire des hypercorrections.

MI : Où voulez-vous amener votre recherche dans le futur ? Qu’est-ce qui va suivre concernant vos études sur la sécurité linguistique ?

AB : Je viens de terminer un livre sur la question qui tente d’en faire le tour et qui sera publié aux éditions Garnier en France à l’automne 2015. J’espère que cette recherche pourra faire en sorte de conscientiser les personnes autour du phénomène de l’insécurité linguistique et surtout qu’elle permettra de penser aux conséquences nombreuses des discours sur la langue et dont certains atteignent les locuteurs au plus profond d’eux-mêmes.


 

Un grand merci à la professeure Boudreau d’avoir discuté avec moi de ce sujet très important.

L’insécurité linguistique est un problème dont on a besoin de s’ occuper. Les dialectes et les variétés linguistiques sont examinés à travers le monde, de l’anglais vernaculaire des Afro-américains (AAVE – African American Vernacular English) au discours des habitants du sud de l’Amérique, en passant par les variétés sans « r » de l’anglais de la Nouvelle-Angleterre et de New York (pensez à un discours de J.F. Kennedy) ; ces trois exemples ne sont que des variétés de l’anglais proches des nôtres. En français il existe des phénomènes similaires avec le français acadien, le français hors-Québec, le français du Québec comparés au français standard de la France, etc.

Il existe aussi, bien entendu, les problèmes issus de ces insécurités qui affectent la décision même de parler des langues. De nombreux locuteurs hésitent encore à parler les langues aborigènes et indigènes, et d’autres langues minoritaires à travers le Canada (et le monde), ce qui peut mener à une situation ou des variétés entières de français ou d’anglais, des langues indigènes et des langues patrimoniales se trouvent au bord de la disparition.

Ces insécurités affectent la façon dont certaines personnes vivent leur vie quotidienne : ils doivent vivre chaque jour avec le sentiment de ne pas parler « correctement » dans certaines situations. On doit changer les attitudes qui créent ces insécurités, il n’est pas suffisant de dire qu’ils devraient être fiers de sa langue; parce que, comme Professeure Boudreau explique, « certains locuteurs vont payer un prix social très élevé s’ils s’expriment dans un vernaculaire très stigmatisé dans une situation formelle de communication ».

 

A tantôt,

 

Michael Iannozzi

 

Merci à Floriane Letourneux pour son aide avec mon français.