Esperanto Speakers Meet in Canada

By: Christer Oscar Kiselman, Uppsala, Sweden

For a full week in August of 2022, eight hundred and thirty Esperanto speakers from all
continents except Antarctica were welcomed by the City of Montréal in Québec, Canada.

An Esperanto congress can perhaps best be described as a forceful eruption of
conferences on a lot of topics, in fact on all topics of interest to human beings. Many
are presented in parallel, so that it is often hard to choose which one to attend.

Esperanto is an artificial language, intended to facilitate understanding between all
humans. The first Esperanto manual was published in July of 1887 in Warsaw, which
was then in the Russian Empire.

The booklet, which appeared in that year in Russian, Polish, French, and German,
and the following year in Hebrew, Yiddish, and English, was authored by a Jewish
scholar, L. Zamenhof, who was born in 1859 in Bialystok, then in the Russian Empire,
now in eastern Poland. Actually, Esperanto was his fourth constructed language, a fact
of some importance since each version of his conlangs was an improvement over the
previous ones. We should note that ‘artificial’ means that the language is artfully made!

During the week there were four concerts, a play, and lectures on languages including
the Indigenous Canadian language Anishinaabeg, Yiddish, and, of course, Esperanto
itself. There were seven lectures presenting in the International Congress University,
on topics including space research, chemistry, glass, and the Silk Road in Asia. Other
lectures treated bird migration, geology, and the Pythagorean Theorem. And most
importantly, there were personal meetings between old friends and new friends alike,
severely missed during two years of Zoom meetings.

The congress was initially planned to take place in 2020 but had to be postponed for
well-known reasons. This was the one hundred and seventh congress in a series
starting in 1905 and meetings every year with interruptions only during the two World
Wars. It was the second to be organized in Canada, and the fifth of the congresses held
in North America. On a personal note, it was my thirty fourth, of which two had been
virtual via Zoom. My first was in 1980.

As to participants, the record was held by the US, with Canada second, France third,
Germany fourth and the UK fifth, followed by Japan and South Korea.

Duncan Charters, Professor of Languages and Cultures at Principia College, Elsah,
Illinois, is the President of the organizing society, the Universal Esperanto Association
(UEA). He welcomed us all and also gave a talk on education.

Next year the Esperanto Congress will be held in Torino, with Fabrizio Angelo
Pennacchietti as one of the main organizers. There were hopes expressed that later a
congress could be held in Africa—if so, that would be the first time ever that Esperanto
speakers will meet in that continent.

The theme of the 2022 Congress was:
“Language, Life and Earth: the Decade of Indigenous Languages“, in reference to the
Decade of Indigenous Languages declared
by UNESCO for 2022-2032.

Journée nationale des Autochtones

Tout au long du moins de juin, j’ai posté des tweets sur les traductions des jours de la semaine en différentes langues inuites ou des Premières Nations du Canada. Eh bien, aujourd’hui nous sommes le 21 juin et ici au Canada, c’est aussi la Journée nationale des Autochtones !

L’histoire des peuples métis, inuit et des Premières Nations nous parle de peuples dont les cultures et les sociétés sont complexes, perspicaces et uniques comme aucune autre au monde. Ces différentes histoires ne sont pas juste celles de ces peuples : il s’agit aussi de l’histoire du Canada et de notre patrimoine commun aujourd’hui.

Sur le site web de la Journée Nationale des Autochtones, il est dit « [Aujourd’hui] il s’agit d’une occasion spéciale de souligner le patrimoine unique, la diversité culturelle et les réalisations remarquables des Premières Nations, des Inuit et des Métis au Canada. » Tandis que nous nous efforçons de le faire aujourd’hui, je crois qu’il est tout aussi important de réfléchir à entrer en contact avec l’histoire, les cultures et les réalisations des Autochtones d’une manière significative et ce, chaque jour. Pour certains Canadiens, il peut sembler que les peuples autochtones du Canada soient une toute autre culture et, étudier leur histoire et leur culture peut ainsi revenir à étudier l’histoire et la culture d’un groupe de gens vivant dans un pays très lointain ou ayant vécu il y a très longtemps. Mais c’est évidemment une vision erronée ; ces histoires, ces cultures, ces patrimoines sont ceux de personnes qui ont vécu ici, sur la terre où je suis en train d’écrire ce texte en ce moment-même et très probablement sur la terre où vous-mêmes êtes en train de lire cet article, et certainement sur la terre de ce qu’est aujourd’hui la nation canadienne.

Nous le devons par conséquent à nous-mêmes, aux peuples autochtones et en fait au Canada en tant que tout collectif, fait de chacun d’entre nous, autochtone ou pas, de connaitre l’histoire de notre terre et des peuples qui nous ont précédés et qui sont toujours présents.

J’aimerais proposer, dans l’esprit de la Journée Nationale des Autochtones, que vous appreniez des choses sur le ou les peuple(s) qui partagent ou ont partagé la terre sur laquelle vous êtes assis en ce moment ; et, puisqu’il s’agit de la page d’un Musée des Langues, que vous appreniez quelque chose à propos de la langue qu’ils parlent !

Par exemple, pendant que je suis en train d’écrire tout ceci, je me trouve dans la maison de mon enfance (et de mes parents !) à Sarnia en Ontario. La terre sur laquelle je suis assis maintenant est celle des Niswi-mishkodewin, c’est-à-dire les Conseils des Trois –Feux. Il s’agit plus précisément des nations des peuples ojibwé, outaouais, potawatomi. Je me suis donc aujourd’hui donné le défi d’apprendre des mots anishinaabe (ojibwé) et, par là-même, d’apprendre aussi des choses sur la culture et sur l’histoire de ces nations.

C’est donc un petit défi que j’aimerais vous lancer aujourd’hui. Si vous êtes en train de lire ce texte, c’est que vous adorez probablement les langues et que vous avez aussi probablement une place pour le Canada au chaud tout contre votre cœur ; je ne peux alors pas trouver de meilleure manière de marier ces deux amours autrement qu’en en apprenant un peu sur l’une des nombreuses langues de l’une des nombreuses nations autochtones que sont les peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui vivent ou ont vécu, ici, au Canada.

 

Alors, miigwech (« merci ») et giga-waabamin menawaa (« à plus tard »).

 

Ganawenindiwag (« prenez soin des uns des autres »),

 

Michael Iannozzi

Un gros merci à Floriane Letourneux pour son aide à traduction

[Crédit photo : AADNC.ca]

[Crédit photo : AADNC.ca]

De deux langues nait une troisième

Le mitchif (ou métchif) est une langue parlée traditionnellement par les Métis du Saskatchewan, du Manitoba, à travers le Canada et même au Dakota du Nord. La langue a été le sujet d’intenses discussions en linguistiques à cause du caractère unique de sa création.

Le professeur Nicole Rosen de l’Université du Manitoba étudie le mitchif depuis ses années d’études graduées et elle a travaillé sur un dictionnaire en ligne pour essayer de documenter et de préserver la langue. En dépit de tout ce qui rend le mitchif intéressant et spécial, la langue n’a jamais reçu l’attention de la part des documentalistes ni les efforts de revitalisation dont elle a besoin. Malheureusement, tout comme de très nombreuses langues indigènes d’Amérique du Nord, elle se trouve au bord de l’extinction. Ce qui est en jeu ici, c’est une langue qui représente les deux versants de l’histoire canadienne : l’histoire du Canada précolonial et l’histoire des colons européens et de leur émigration vers l’ouest.

J’ai eu l’énorme privilège de parler de cette langue fascinante avec le Professeur Rosen.

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Michael Iannozzi : Qu’est-ce que le mitchif ?

Nicole Rosen : Le mitchif, c’est une langue parlée par un sous-groupe du peuple métis, un mélange de français et de cri des plaines mais c’est aussi un peu d’anglais et d’ojibwé.

MI : D’où vient la langue?

NR : Autant que nous sachions, elle s’est formée au début du XIXe siècle, dans la Vallée de la Rivière Rouge, autour de Winnipeg. On la parlait déjà dans les années 1820 ou 1830. Elle a été créée en grande partie par les colons français qui ont épousé des femmes indigènes et qui ont créé une nouvelle culture, la culture métisse, ainsi qu’une nouvelle langue.

MI : C’est bien plus tôt que ce que je pensais; les colons français se seraient trouvés dans cette région avant les années 1820 mais n’auraient pas commencé à créer cette culture jusque-là ?

NR : Il est possible qu’il y ait eu un groupe avant cette date mais les traces les plus anciennes que nous avons de la langue remontent à cette période. Il existe certainement des traces de la langue et de la culture avant cette époque mais ce n’est pas avant les années 1820 que ce groupe, de manière collective c’est-à-dire en tant que communauté, a été appelé « Métis » ou « Métis de la Rivière Rouge ». Avant cette date, nous n’avons pas de traces évidentes de la création par les Métis de leur propre culture et leur propre identité. Il est probable que tous ces changements ne se soient pas produits avant les années 1820 lorsque les colons ont commencé à émigrer aussi loin à l’ouest.

MI : Donc, aujourd’hui, où trouverions-nous des locuteurs de mitchif ?

NR : Il y a des locuteurs dans quelques communautés au Manitoba comme à Camperville, San Clara et autour de Binscarth. Il y a d’autres communautés métisses avec des locuteurs au Saskatchewan, en Alberta et au Dakota du Nord. Dans les années 1870 et 1880, les Métis étaient dispersés, ou plutôt, il serait plus adéquat de dire qu’ils avaient fui la vallée de la Rivière Rouge à cause de rebellions et de batailles. Ils se sont donc dispersés à travers les prairies. La bataille de 1885 est celle qui a vraiment marqué la fin des colonies métisses dans la vallée de la Rivière Rouge ; Louis Riel a été pendu ; la langue mitchif et la culture métisse sont passées dans l’ombre après ça.

Avant ça, les Métis jouissaient en fait d’une place plutôt bonne dans la société parce qu’ils avaient une double culture et qu’ils étaient multilingues ; ils connaissaient la région comme leur poche et la plupart d’entre eux allaient à l’école si bien qu’ils pouvaient commercer entre les groupes de colons et les peuples indigènes. Grace à leur héritage double, ils pouvaient souvent s’entendre avec chacune des communautés : les Premières Nations aussi bien que les colons.

MI : Avant 1885, ils pouvaient faire partie des deux communautés alors qu’après cette date, ils ne faisaient plus vraiment partie d’aucune ?

NR : Oui, malheureusement ils se sont ensuite cachés et c’est à partir de ce moment-là que les Métis ont vraiment commencé à devenir des marginaux. C’est également à cette époque que de plus en plus de Québécois francophones, les Québécois qui n’étaient pas de sang métis, se faisaient recruter pour partir s’installer à l’ouest : ces nouveaux colons ont vraiment contribué à la marginalisation des personnes métisses.

MI : Si la langue est devenue clandestine en un sens, le fait qu’elle a pu survivre la rend d’autant plus intéressante. Les locuteurs étaient éparpillés à travers les Prairies et pourtant, la langue a été capable de survivre.

NR : La langue mitchif s’est vraiment cachée. Elle n’était parlée qu’à la maison, ce n’était pas la langue que les Métis tendaient à utiliser ailleurs. Il y avait aussi des communautés métisses qui, après leur dispersion, ont tout simplement essayé de ne pas se mélanger avec les autres communautés afin de garder leur culture vivante. Une autre facette de leur persécution et de leur isolement est que leur culture clandestine et leur statut de marginaux signifiaient qu’ils évitaient parfois de se faire envoyer dans des écoles en internat. Les internats tendaient à cibler les réserves et beaucoup de Métis vivaient juste dans les forêts en se nourrissant des ressources de la terre ; certains ont pu garder leur langue et ainsi éviter d’attirer l’attention sur eux. Certains, certainement pas tous ni même la majorité mais certains, ont pu le faire parce qu’ils se trouvaient si dispersés et isolés.

MI : Alors, diriez-vous que cela explique aussi pourquoi ils ont été capables de garder leur langue vivante? Parce qu’ils se sont gardés pour eux-mêmes et qu’ils ont essayé d’éviter de faire partie de trop de communautés différentes ?

NR : Je crois que oui. C’est là une généralisation plutôt énorme bien sûr. À cause de leur dispersion et de leur multiculturalisme, les peuples métis sont très divers quant à leurs histoires et expériences. De ce fait, il est très difficile de généraliser ou même de dire que quelque chose s’est passé généralement de telle ou telle manière, en particulier parce que le mitchif est seulement une des langues des Métis. Ces derniers parlent aussi une variété métisse du français et une variété métisse du cri, parmi d’autres langues, si bien que lorsque vous essayez de décrire cette chose qu’on appelle le mitchif, les choses deviennent quelque peu ambiguës. Pour les linguistes, le mitchif, c’est cette langue métisse. Cependant, les Métis eux-mêmes voient le mitchif comme une langue parmi quelques autres.

MI : Si vous deviez faire une estimation: combien de locuteurs diriez-vous qu’il existe ?

NR : Nos meilleures estimations donnent un nombre de plusieurs centaines; néanmoins, nous ne savons pas vraiment parce que même si un locuteur peut cocher la case « mitchif » sur le formulaire de recensement, le mitchif peut signifier trois langues différentes ; nous ne savons donc pas à quelle langue se réfèrent nécessairement les gens qui disent pouvoir parler le mitchif. Je ne pense pas que celui-ci ait été inclus dans le dernier recensement de 2011 mais même s’il a été inclus dans le précédent, les nombres qui en sont ressortis étaient plutôt insignifiants à moins de savoir à quelle langue les locuteurs se référaient : un locuteur peut très bien cocher la case « mitchif » mais qu’est-ce que cela signifie ? Français mitchif, cri mitchif ou mitchif métis ?

MI : Quand une langue romane, le français, et une langue algonquine des Premières Nations, le cri des Plaines, se mélangent, qu’est-ce que cela finit par donner ?

NR : Il existe différents points de vue sur cette question mais en gros, on dirait effectivement qu’il y a une grosse influence française mais c’est principalement du cri des plaines. Les noms et les adjectifs tendent à provenir du français tandis que la plupart des verbes tendent à provenir du cri. C’est là une description bien générale : en réalité le découpage n’est pas exactement aussi clair.

MI : Est-ce qu’un francophone comprendrait le mitchif mieux ou moins bien qu’un locuteur de cri ?

NR : Un locuteur de cri va comprendre le mitchif un peu mieux qu’un locuteur de français mais ce serait quand même très difficile. Cependant, je crois que la langue, de manière générale, ressemble plus à une langue algonquine des Premières Nations qu’à une langue romane comme le français. Cependant, un grand nombre de mots français y sont incorporés et même des sons qui existent en français mais pas dans le cri des plaines font désormais partie du mitchif.

MI : Comment en êtes-vous venu à étudier le mitchif ? Comment en avez-vous-même entendu parler ?

NR : Je pense que par le passé, la plupart des gens n’avaient même jamais entendu parler du mitchif, même ici à Winnipeg. Je crois que c’est moins vrai de nos jours mais la langue n’est toujours pas connue à grande échelle. C’est en fait pendant mes études de master en linguistiques françaises à l’Université de Toronto que j’ai entendu parler du mitchif pour la première fois. Les phénomènes de contact du français avec d’autres langues comme pour les créoles [par exemple aux Antilles] m’ont toujours intéressée.

Quand on étudie les langues en contact, il y a toujours une section qui couvre les « langues métisses » et c’est toujours le même exemple : le mitchif. Il y en a d’autres mais c’est celle qui est la plus communément utilisée pour illustrer les langues métisses. Et puis je me suis dit : « Vraiment ? Des Métis le parlent ici, au Canada ? Moi, je viens de Winnipeg et ces gens-là parlent le mitchif là-bas ? Je n’en avais jamais entendu parler ; Il faut que j’aille chercher ce que c’est. » C’est vraiment ce qui a tout déclenché. J’ai trouvé des informations sur le mitchif et ensuite j’ai appelé la Fédération des Métis du Manitoba pendant mes études de master ; j’ai demandé si des gens parlaient le mitchif ou s’ils pouvaient me dire quoi que ce soit sur la langue. Il s’est avéré qu’ils venaient de concevoir un projet sur la langue mitchif. J’ai ainsi commencé ma collaboration avec eux, collaboration que je continue encore aujourd’hui. Tout s’est bien terminé.

[Un Android App pour la langue michif]

[Un Android App pour la langue michif]

Un sincère merci au Professeur Nicole Rosen pour son temps et son aperçu fascinant sur la langue mitchif. Le professeur Rosen a réalisé un travail significatif avec les aînés métis qui parlent le mitchif en créant un dictionnaire en ligne et en réalisant des enregistrements disponibles dans un atlas linguistique des langues algonquines. De manière plus importante, son travail a exigé d’écouter les besoins et les objectifs des communautés métisses quant à la revitalisation et à la documentation de leur langue…. Ou plutôt, comme nous venons de l’apprendre, de leurs langues. Les Métisses, plus que beaucoup d’autres groupes, ont suivi un chemin différent pour former leur langue, leur culture et leur communauté. Celles-ci sont jeunes et pourtant, elles ont déjà eu leur compte d’épreuves et de querelles ; néanmoins la culture métisse et les langues mitchifs sont toujours célébrées de nos jours. Espérons que cette langue fascinante, qui a joué un rôle tellement important dans l’histoire du Canada, survivra longtemps.

Le professeur Rosen m’a fourni plusieurs ressources pour pouvoir en apprendre davantage sur la culture métisse et les langues mitchifs :

L’Institut Gabriel Dumont

L’Institut Louis Riel

Le Projet de la Langue Mitchif

[En anglais]
Rappelez-vous : restez fiers des langues que vous savez parler. Votre héritage reste toujours attaché à une langue ; soyez fiers de ce qui fait de vous un être unique.

 

A tantôt, eh,

 

Michael Iannozzi

 

Merci bien à notre traductrice Floriane Letourneux

 

Une langue saisie en film

Chloë Ellingson est documentaliste et photographe. Son travail a été vu dans les journaux, lors d’événements et, elle a récemment discuté d’un projet sur Radio Q.

Son travail le plus récent a inclus l’étude d’un effort de redynamisation mené sur le mohawk par les habitants de Tyendinaga. Elle a créé un documentaire prévenant qui est une réflexion sur l’importance de la langue pour un peuple, la manière dont une langue peut être sauvée et sur les types de personnes requises pour sauver la langue.

J’ai eu l’occasion de lui poser quelques questions sur son nouveau film. Le documentaire s’intitule Raising the words. Le titre vient du nom du programme d’immersion de deux ans pour adultes, qui s’appelle Shatiwennakarà:tats, ce qui se traduit par « ils relèvent les mots ».

[Une photographie du film]

[Une photographie du film]

Michael Iannozzi : Qu’est-ce qui vous a menée à étudier le projet de redynamisation du mohawk (ou « agnier » en français)?

Chloë Ellingson : J’ai d’abord pris conscience de la revitalisation du mohawk [connu sous le nom de Kanien’keha en mohawk] à Tyendinaga via mes liens avec deux personnes qui se sont retrouvées à étudier le mohawk, Margaret et Ellie. Je les ai rencontrées en 2011 pour un projet de photographie sur lequel je travaillais et qui avait pour sujet les grands-parents qui élèvent leurs petits-enfants. J’étudiais à l’époque le photojournalisme au Loyalist College, qui se trouve près de Belleville en Ontario. Margaret et Ellie étaient vraiment enthousiastes au sujet des programmes de langues et parlaient souvent de ce qu’elles y apprenaient.

Ça m’a pris environ un an pour m’investir dans l’idée de travailler sur ce projet parce que j’avais de sincères réserves quant à l’idée d’assumer un sujet si éloigné de mes propres expériences. En fin de compte je me suis rendu compte qu’entendre parler de ce qui se passait à Tyendinaga avait en fait de puissantes répercussions sur ma perception du Canada, sur l’intensité de l’empreinte du colonialisme et également, plus généralement, sur ce que ça signifie de parler une langue. À un certain moment, j’ai senti que ces prises de conscience étaient trop importantes pour ne pas les partager et puis, j’avais déjà rencontré des gens qui étaient disposés à partager leurs histoires avec moi. J’ai alors commencé à tourner ce film en août 2013.

MI : Où est-ce que le film se déroule ?

CE : Le documentaire a pour titre « Raising the words », qui vient du nom du programme d’immersion de deux ans pour adultes, Shatiwennakarà:tats, ce qui se traduit par « ils relèvent les mots ». Il a lieu sur le territoire mohawk de Tyendinaga, à environ 200 km à l’est de Toronto, le long de la route 401. Tyendinaga est la terre natale d’environ 2 200 personnes bien que beaucoup plus de gens soient aussi des Mohawks de la Baie de Quinte mais vivant ailleurs. Ce territoire est l’un des 6 territoires mohawks à l’intérieur des frontières canadiennes.

MI : Aviez-vous passé beaucoup de temps dans des petites villes avant de filmer ce documentaire?

CE : À part le peu de temps où j’ai habité à Belleville ? Pas du tout ! J’avais passé ma vie seulement dans de grandes villes jusque-là. Tous ces grands espaces ouverts et le fait de devoir dépendre d’une voiture ont nécessité une grosse adaptation de ma part.

MI : En rentrant dans le projet, que saviez-vous déjà des langues indigènes canadiennes ? Et en particulier, que saviez-vous du mohawk ?

CE : Je ne savais rien du tout des langues indigènes au Canada et certainement rien de ce qui se faisait pour les raviver. Je n’avais aucune idée des liens entre le mohawk et les autres langues indigènes, des endroits où les gens le parlent, ou de l’importance et la signification de la langue pour les communautés mohawk. C’est ce qui m’a mené au projet : ce n’était pas un intérêt pour la langue elle-même mais un intérêt pour ce que signifie la langue pour les gens. Plus j’en apprenais sur la valeur qu’elle contient, plus ma curiosité augmentait.

Les expériences de vie des gens à qui j’ai parlé dans le film illustrent bien qu’une langue est bien plus que de la communication. C’est une connexion avec une culture, avec des ancêtres, avec soi-même. Certaines personnes dans le film considèrent l’apprentissage d’une langue comme un acte politique et comme une part essentielle de la connexion avec leur identité mohawk.

MI : Avez-vous rencontré des défis en filmant ?

CE : Je rencontre constamment des défis. Puisque je débute dans la réalisation, certains consistent à trouver comment monter ce film. Je suis habituée à travailler avec la photographie et, entre ces deux mediums, il y a d’énormes différences auxquelles je dois me confronter, par exemple je dois planifier et faire les choses de façon calculée plutôt que d’essayer d’avoir une approche plus intuitive. Il y a des défis plus sérieux aussi comme avoir besoin d’essayer de travailler loin des représentations exotiques et lointaines des peuples indigènes qui ont gangrené les représentations visuelles dans le passé et qui continuent de les gangrener. C’est un défi qui vous hante parce que j’ai peur que les préjudices qui m’ont entourée tout au long de ma vie puissent réapparaitre de manières que je ne saurais pas détecter.

MI : Parlons des gens qui forment la base du film: quelle a été leur réaction à l’idée de commencer à apprendre le mohawk ? Pourquoi est-ce important pour eux ?

CE : De ce que je comprends, il existe plusieurs motivations mais celle qui englobe toutes les autres est indescriptible parce que j’ai seulement pu en être vaguement le témoin et qu’elle répond à un besoin profond de se sentir à nouveau soi-même après une perte immense et violente. Je sais qu’il y a des motivations secondaires en jeu comme le fait de vouloir que leurs enfants aient accès aux opportunités que eux n’ont jamais eues, de se connecter avec la culture, de vivre les changements qu’ils veulent voir effectués dans la communauté à grande échelle. Notons aussi « le facteur cool » que la langue possède maintenant, tel que le formule Thanyehténhas Brinklow, un enseignant. Comme il le dit si bien dans le film, les gamins des années 80 et 90 « ont grandi après un racisme incroyable, après le réveil des Amérindiens, à une période où être amérindien redevenait cool. » C’est cette génération, dit-il, qui a été élevée dans un contexte qui permet la renaissance de la langue aujourd’hui.

MI : Quelle a été la partie la plus difficile dans l’assemblage de tout ceci ?

CE : La partie la plus difficile de ce projet a été de lutter contre le fait que j’en parle en anglais, j’écris dessus en anglais et j’y pense en anglais. Je pense que le travail a de la valeur même venant de ce point de vue mais il est étrange de contribuer à la redynamisation à travers simplement le contenu plutôt qu’à travers l’essence du film.

MI : Qu’est-ce qui est sorti de ce travail qui soit le plus surprenant ou bien nouveau ?

CE : J’ai été surprise d’entendre certains commentaires sur mon projet de la part de personnes que je considère par ailleurs très ouvertes d’esprit, curieuses et expérimentées. Un ami m’a demandé, après avoir entendu parler du projet : « Mais n’est-il pas normal que les langues meurent au fil du temps ? » J’en suis arrivée à croire que c’était là être à côté de la plaque. Il y a de vrais gens qui se sentent concernés par leur langue et qui se battent pour la garder en bonne santé. Pourquoi entretenir des notions telles que de savoir si oui ou non c’est important à l’échelle de l’histoire humaine entière, si clairement, aujourd’hui, c’est important pour un peuple ?

MI : À qui le projet est-il destiné? Qui espérez-vous avoir comme public pour ce film ?

CE : Il est très difficile de répondre à cette question parce que je serais heureuse si tout le monde regarde le film mais je ne peux pas prédire qui en retirera quelque chose d’instructif ou pas. Ceci dit, si le point de vue duquel le film a été réalisé peut être une indication de la réponse à votre question, je dirais alors que ce film est né grâce à une prise de conscience qu’une renaissance de la langue est en train de se produire. Cela a une immense valeur pour ceux que ça concerne. En apprendre plus sur ces efforts de revitalisation est une fenêtre ouverte sur l’exploration de l’impact en cours du colonialisme ainsi qu’un désir d’explorer et de partager les histoires touchantes et porteuses d’un message de vie de quelques personnes concernées par la revitalisation linguistique à Tyendinaga.

[Une photographie du documentaire]

[Une photographie du documentaire]

Un grand merci à Chloë pour avoir participé à cet entretien. Ce blogue se concentre généralement sur le travail de professeurs universitaires et de chercheurs mais il est important de parler aussi avec les personnes qui s’impliquent dans des projets linguistiques de manières différentes.

Le mohawk est importante pour un groupe des habitants de Tyendinaga. Ils passent du temps et dépensent des fonds pour essayer de raviver leur langue et pour encourager les gens à apprécier l’importance qu’a cette langue pour leur identité mohawk.

Ces langues ne sont pas en voie d’extinction comme une espèce animale ou végétale qui ne survit pas à cause de la sélection naturelle. Il n’y a rien de naturel dans la suppression que les langues amérindiennes subissent ; cela a créé une situation où beaucoup de langues se retrouvent maintenant au bord de l’extinction.

Les efforts comme ceux qui ont lieu à Tyendinaga ont pour objectif de restaurer la place d’une langue au sein d’une communauté et les efforts comme ceux de Chloë visent à informer les personnes concernées, et le public de manière générale, qu’il est possible de sauver ces langues mais que pour cela, elles ont besoin de notre aide.

Vous pouvez trouver des informations sur comment et où voir le film documentaire de Chloë en cliquant ici.

 

A tantôt, eh,

 

Michael Iannozzi

 

Merci à notre traductrice excellente Floriane Letourneux

 

Les licences culturelles

On a tous vu ces declarations sous les vidéos Youtube. Vous savez lesquelles. Quand on regarde une vidéo qui est déjà passée à la télévision, ou une soumise à des droits d’auteur. Vous avez déjà vu la petite phrase qui dit licence « creative commons ».

  L’idée d’une licence « Creative Commons » est que les gens ont le droit d’utiliser des œuvres multimédias à buts éducatifs et non-lucratifs. Ces licences esquissent les conditions selon lesquelles une œuvre peut être utilisée, partagée ou modifiée. La question des droits d’auteur est controversée en soi. Beaucoup d’entreprises productrices de contenu culturel comme les programmes de télévision, les vidéos ou la musique, ne veulent pas que les gens puissent obtenir leurs produits dans leur entièreté et ce, gratuitement. Ce n’est pas seulement un problème économique ; quel que soit votre point de vue sur la question, la question est : « quelqu’un a-t-il le droit de contrôler la culture, et qui ? »cc.logo.large

Le billet d’aujourd’hui a pour sujet un problème différent sur le thème du contenu culturel. Je vous donne un exemple. Lorsque j’étais jeune et que je dinais avec mes parents et grands-parents, on parlait tous en anglais. Cependant, il leur arrivait d’aborder certains sujets (souvent des commérages pour être honnête) qui n’étaient « pas bons pour mes jeunes oreilles », si bien qu’ils se mettaient à parler en italien. Les capacités passives que je possède aujourd’hui en italien sont dues à une enfance faite d’efforts à saisir les détails des commérages juteux qui se partageaient. Ce que je veux souligner ici, c’est que les informations ne m’étaient pas destinées. Je n’étais pas le public visé et les locuteurs me dissuadaient activement de vouloir obtenir ces informations en utilisant une langue que je ne comprenais pas.

Cette expérience est courante chez beaucoup de gens et beaucoup de familles même si une seconde langue n’est pas toujours disponible. Que ce soit en chuchotant dans la cuisine ou en utilisant un langage codé pour s’assurer que les enfants ne comprendront pas, certaines informations dans nos foyers ne sont pas bonnes à entendre par tout le monde. À l’âge numérique, il y a tellement de données du monde entier à être instantanément disponibles à tous ceux qui ont Internet et de la curiosité.

Maintenant, je vais rapprocher ces deux idées – Youtube et ma grand-mère jasant en italien. Il existe beaucoup de cultures, de peuples et de communautés linguistiques possédant des informations privilégiées ou, d’une certaine manière faites seulement pour un certain sous-ensemble de gens. De nos jours, ces peuples veulent que leur langue et leur style de vie soient préservés mais maintenir la tradition quant à qui peut avoir accès et posséder ces informations, est une préoccupation croissante. lc_label_women_rlc_label_sacred

Une solution possible a été trouvée en créant des licences culturelles. En voici un lien : « Traditional Knowledge Licences. » L’idée derrière ces licences est que des données, des vidéos, des images, des enregistrements et des archives entières peuvent être mis sous licence pour s’assurer que seules les parties convenues y ont accès.

Un très bon exemple de cela m’a été raconté par la professeure Berez qui a enseigné l’été dernier un cours d’archivage linguistique au CILLDI (Institut pour le Développement de la litéracie et des langues indigènes canadiennes), qui offre des cours d’été sur les langues indigènes (voir notre billet du CILLDI). Certains de ses collègues conservaient des cassettes audio en les convertissant en format numérique afin de les protéger au cas où la cassette se détériore et devienne inutilisable. Au début de l’une des cassettes, on peut entendre une aînée d’une tribu dire que la chanson qu’elle est sur le point de chanter appartient à sa communauté et que cette chanson ne devrait jamais être jouée en dehors de la communauté. Mais la conservation des cassettes était réalisée à l’extérieur du territoire de la communauté, ce qui a créé un dilemme pour les conservateurs. Conserver l’artefact culturel est, mais respecter les souhaits de la défunte ainsi que les valeurs culturelles associées à la chanson est également primordial.

Les licences culturelles permettent aux gens de se protéger contre l’utilisation de certaines données par des parties non voulues. La base des critères va du sexe du public (des données sont seulement destinées aux hommes et d’autres seulement aux femmes), à la géographie (les données ne devraient pas être accessibles à l’extérieur de la communauté), en passant par la culture (vous devez être membre d’une certaine tribu ou d’un certain peuple), ou le rang social (vous devez avoir atteint un certain statut social dans votre communauté avoir de pouvoir avoir accès aux données.) Il existe même des « clauses crépusculaires », qui peuvent se référer à des informations disponibles seulement après un certain nombre d’années. Par exemple, si dans un enregistrement le locuteur exprime des idées peut-être controversées au moment présent, il peut exiger une clause crépusculaire si bien que le contenu ne paraitra pas avant sa mort.

Ces licences ne protègent pas parfaitement, tout comme on peut trouver tout de suite sur Youtube des films pourtant soumis à des droits d’auteur ; mais elles représentent un pas dans la bonne direction. Elles aident à protéger des informations, et servent à s’assurer que celles-ci tombent entre les mains de ceux qui ont le droit de les avoir. Les licences culturelles aident aussi à sensibiliser le public général sur le fait que les cultures et les peuples partagent différemment l’information et que ces licences permettent la transmission des connaissances et des renseignements avec respect.

Certains sites d’archivage, tels que AILLA, qui possède des enregistrements de centaines de langues centre- et sud-américaines, ont réalisé un pas supplémentaire. Certaines de ces archives sont protégées par des mots de passe ou requièrent que les parties intéressées contactent le contrôleur des archives pour demander la permission d’utiliser les archives, qui ont donc des restrictions. Ces dernières peuvent inclure que le demandeur se trouve dans le même pays ou fasse partie d’une communauté ethnique.

L’été passé, j’ai pris part à une discussion lors de laquelle une personne crie a formellement exprimé son point de vue selon lequel certaines données sont d’une telle importance culturelle qu’elle préfèrerait en voir toutes traces disparaitre plutôt que de les voir être partagées avec tous ceux qui ont une connexion Internet. En fait, les participants ont dit que certaines histoires ont besoin d’être racontées à nouveau, à chaque fois, si bien qu’on ne devrait jamais avoir besoin de faire d’enregistrement. L’histoire doit être encore racontée, en direct, devant le public, à chaque fois, sinon elle perd de son importance culturelle.

Ces licences culturelles représentent un grand pas vers le respect des souhaits des peuples qui veulent que leur style de vie et leur culture soient préservés, mais qui veulent aussi que ce qui est préservé soit utilisé et partagé de manière responsable.

 

A tantôt, hein

 

– Michael Iannozzi

(Merci bien à Floriane Letourneux pour sa traduction)

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