Chloë Ellingson est documentaliste et photographe. Son travail a été vu dans les journaux, lors d’événements et, elle a récemment discuté d’un projet sur Radio Q.
Son travail le plus récent a inclus l’étude d’un effort de redynamisation mené sur le mohawk par les habitants de Tyendinaga. Elle a créé un documentaire prévenant qui est une réflexion sur l’importance de la langue pour un peuple, la manière dont une langue peut être sauvée et sur les types de personnes requises pour sauver la langue.
J’ai eu l’occasion de lui poser quelques questions sur son nouveau film. Le documentaire s’intitule Raising the words. Le titre vient du nom du programme d’immersion de deux ans pour adultes, qui s’appelle Shatiwennakarà:tats, ce qui se traduit par « ils relèvent les mots ».
Michael Iannozzi : Qu’est-ce qui vous a menée à étudier le projet de redynamisation du mohawk (ou « agnier » en français)?Chloë Ellingson : J’ai d’abord pris conscience de la revitalisation du mohawk [connu sous le nom de Kanien’keha en mohawk] à Tyendinaga via mes liens avec deux personnes qui se sont retrouvées à étudier le mohawk, Margaret et Ellie. Je les ai rencontrées en 2011 pour un projet de photographie sur lequel je travaillais et qui avait pour sujet les grands-parents qui élèvent leurs petits-enfants. J’étudiais à l’époque le photojournalisme au Loyalist College, qui se trouve près de Belleville en Ontario. Margaret et Ellie étaient vraiment enthousiastes au sujet des programmes de langues et parlaient souvent de ce qu’elles y apprenaient.
Ça m’a pris environ un an pour m’investir dans l’idée de travailler sur ce projet parce que j’avais de sincères réserves quant à l’idée d’assumer un sujet si éloigné de mes propres expériences. En fin de compte je me suis rendu compte qu’entendre parler de ce qui se passait à Tyendinaga avait en fait de puissantes répercussions sur ma perception du Canada, sur l’intensité de l’empreinte du colonialisme et également, plus généralement, sur ce que ça signifie de parler une langue. À un certain moment, j’ai senti que ces prises de conscience étaient trop importantes pour ne pas les partager et puis, j’avais déjà rencontré des gens qui étaient disposés à partager leurs histoires avec moi. J’ai alors commencé à tourner ce film en août 2013.
MI : Où est-ce que le film se déroule ?
CE : Le documentaire a pour titre « Raising the words », qui vient du nom du programme d’immersion de deux ans pour adultes, Shatiwennakarà:tats, ce qui se traduit par « ils relèvent les mots ». Il a lieu sur le territoire mohawk de Tyendinaga, à environ 200 km à l’est de Toronto, le long de la route 401. Tyendinaga est la terre natale d’environ 2 200 personnes bien que beaucoup plus de gens soient aussi des Mohawks de la Baie de Quinte mais vivant ailleurs. Ce territoire est l’un des 6 territoires mohawks à l’intérieur des frontières canadiennes.
MI : Aviez-vous passé beaucoup de temps dans des petites villes avant de filmer ce documentaire?
CE : À part le peu de temps où j’ai habité à Belleville ? Pas du tout ! J’avais passé ma vie seulement dans de grandes villes jusque-là. Tous ces grands espaces ouverts et le fait de devoir dépendre d’une voiture ont nécessité une grosse adaptation de ma part.
MI : En rentrant dans le projet, que saviez-vous déjà des langues indigènes canadiennes ? Et en particulier, que saviez-vous du mohawk ?
CE : Je ne savais rien du tout des langues indigènes au Canada et certainement rien de ce qui se faisait pour les raviver. Je n’avais aucune idée des liens entre le mohawk et les autres langues indigènes, des endroits où les gens le parlent, ou de l’importance et la signification de la langue pour les communautés mohawk. C’est ce qui m’a mené au projet : ce n’était pas un intérêt pour la langue elle-même mais un intérêt pour ce que signifie la langue pour les gens. Plus j’en apprenais sur la valeur qu’elle contient, plus ma curiosité augmentait.
Les expériences de vie des gens à qui j’ai parlé dans le film illustrent bien qu’une langue est bien plus que de la communication. C’est une connexion avec une culture, avec des ancêtres, avec soi-même. Certaines personnes dans le film considèrent l’apprentissage d’une langue comme un acte politique et comme une part essentielle de la connexion avec leur identité mohawk.
MI : Avez-vous rencontré des défis en filmant ?
CE : Je rencontre constamment des défis. Puisque je débute dans la réalisation, certains consistent à trouver comment monter ce film. Je suis habituée à travailler avec la photographie et, entre ces deux mediums, il y a d’énormes différences auxquelles je dois me confronter, par exemple je dois planifier et faire les choses de façon calculée plutôt que d’essayer d’avoir une approche plus intuitive. Il y a des défis plus sérieux aussi comme avoir besoin d’essayer de travailler loin des représentations exotiques et lointaines des peuples indigènes qui ont gangrené les représentations visuelles dans le passé et qui continuent de les gangrener. C’est un défi qui vous hante parce que j’ai peur que les préjudices qui m’ont entourée tout au long de ma vie puissent réapparaitre de manières que je ne saurais pas détecter.
MI : Parlons des gens qui forment la base du film: quelle a été leur réaction à l’idée de commencer à apprendre le mohawk ? Pourquoi est-ce important pour eux ?
CE : De ce que je comprends, il existe plusieurs motivations mais celle qui englobe toutes les autres est indescriptible parce que j’ai seulement pu en être vaguement le témoin et qu’elle répond à un besoin profond de se sentir à nouveau soi-même après une perte immense et violente. Je sais qu’il y a des motivations secondaires en jeu comme le fait de vouloir que leurs enfants aient accès aux opportunités que eux n’ont jamais eues, de se connecter avec la culture, de vivre les changements qu’ils veulent voir effectués dans la communauté à grande échelle. Notons aussi « le facteur cool » que la langue possède maintenant, tel que le formule Thanyehténhas Brinklow, un enseignant. Comme il le dit si bien dans le film, les gamins des années 80 et 90 « ont grandi après un racisme incroyable, après le réveil des Amérindiens, à une période où être amérindien redevenait cool. » C’est cette génération, dit-il, qui a été élevée dans un contexte qui permet la renaissance de la langue aujourd’hui.
MI : Quelle a été la partie la plus difficile dans l’assemblage de tout ceci ?
CE : La partie la plus difficile de ce projet a été de lutter contre le fait que j’en parle en anglais, j’écris dessus en anglais et j’y pense en anglais. Je pense que le travail a de la valeur même venant de ce point de vue mais il est étrange de contribuer à la redynamisation à travers simplement le contenu plutôt qu’à travers l’essence du film.
MI : Qu’est-ce qui est sorti de ce travail qui soit le plus surprenant ou bien nouveau ?
CE : J’ai été surprise d’entendre certains commentaires sur mon projet de la part de personnes que je considère par ailleurs très ouvertes d’esprit, curieuses et expérimentées. Un ami m’a demandé, après avoir entendu parler du projet : « Mais n’est-il pas normal que les langues meurent au fil du temps ? » J’en suis arrivée à croire que c’était là être à côté de la plaque. Il y a de vrais gens qui se sentent concernés par leur langue et qui se battent pour la garder en bonne santé. Pourquoi entretenir des notions telles que de savoir si oui ou non c’est important à l’échelle de l’histoire humaine entière, si clairement, aujourd’hui, c’est important pour un peuple ?
MI : À qui le projet est-il destiné? Qui espérez-vous avoir comme public pour ce film ?
CE : Il est très difficile de répondre à cette question parce que je serais heureuse si tout le monde regarde le film mais je ne peux pas prédire qui en retirera quelque chose d’instructif ou pas. Ceci dit, si le point de vue duquel le film a été réalisé peut être une indication de la réponse à votre question, je dirais alors que ce film est né grâce à une prise de conscience qu’une renaissance de la langue est en train de se produire. Cela a une immense valeur pour ceux que ça concerne. En apprendre plus sur ces efforts de revitalisation est une fenêtre ouverte sur l’exploration de l’impact en cours du colonialisme ainsi qu’un désir d’explorer et de partager les histoires touchantes et porteuses d’un message de vie de quelques personnes concernées par la revitalisation linguistique à Tyendinaga.
Un grand merci à Chloë pour avoir participé à cet entretien. Ce blogue se concentre généralement sur le travail de professeurs universitaires et de chercheurs mais il est important de parler aussi avec les personnes qui s’impliquent dans des projets linguistiques de manières différentes.Le mohawk est importante pour un groupe des habitants de Tyendinaga. Ils passent du temps et dépensent des fonds pour essayer de raviver leur langue et pour encourager les gens à apprécier l’importance qu’a cette langue pour leur identité mohawk.
Ces langues ne sont pas en voie d’extinction comme une espèce animale ou végétale qui ne survit pas à cause de la sélection naturelle. Il n’y a rien de naturel dans la suppression que les langues amérindiennes subissent ; cela a créé une situation où beaucoup de langues se retrouvent maintenant au bord de l’extinction.
Les efforts comme ceux qui ont lieu à Tyendinaga ont pour objectif de restaurer la place d’une langue au sein d’une communauté et les efforts comme ceux de Chloë visent à informer les personnes concernées, et le public de manière générale, qu’il est possible de sauver ces langues mais que pour cela, elles ont besoin de notre aide.
Vous pouvez trouver des informations sur comment et où voir le film documentaire de Chloë en cliquant ici.
A tantôt, eh,
Michael Iannozzi
Merci à notre traductrice excellente Floriane Letourneux