Lorsqu’une personne pense au français au Canada, sa première pensée se tourne généralement vers le Québec. Si on les force à penser à une autre région francophone du Canada, beaucoup penseront au français acadien (le français parlé au Nouveau-Brunswick et dans les Maritimes). Pourtant, plus d’un million de francophones habitent en dehors du Québec et un demi-million rien qu’en Ontario.
Le professeur Terry Nadasdi (de l’Université d’Alberta) a poursuivi beaucoup de recherches sur le français au Canada et en particulier en Ontario et dans les Prairies. Une distinction se fait entre le français acadien et ce qu’on appelle le français laurentien. Ce dernier comprend le français du Québec et le français parlé en Ontario et dans les provinces de l’Ouest. Cependant le professeur Nadasdi a trouvé que le français parlé au Canada n’est pas le même partout. En particulier, il soutient qu’en dehors du Québec, les francophones sont toujours en minorité au moins dans toutes les provinces, sinon dans la communauté où ils se trouvent. Cette distinction rend le français existant dans ces communautés, différent de celui parlé au Québec.
Du fait que la plupart des groupes francophones se retrouvent minoritaires, ils sont aussi rarement monolingues : ils ont en effet besoin de parler un minimum en anglais afin de fonctionner dans la communauté où ils se trouvent. Le professeur Nadasdi s’intéresse à trouver comment cette connaissance de l’anglais affecte le français parlé par ces groupes minoritaires.
Il a eu la gentillesse de répondre à mes questions sur le français laurentien hors-Québec.
Michael Iannozzi: Qu’est-ce qui vous a amené en premier à étudier le français laurentien hors-Québec?
Terry Nadasdi: Mon intérêt pour le français à l’extérieur du-Québec découle de mon intérêt pour le bilinguisme. Dans l’ensemble, le français minoritaire et le bilinguisme vont de pair. Puisque j’ai à l’ origine étudié la sociolinguistique, le sujet me fournit une occasion intéressante d’étudier les modèles d’usage des deux langues chez les bilingues ainsi que l’impact de ces modèles sur les formes linguistiques.
MI: Pourquoi est-il important d’étudier le français hors-Québec ? Est-ce que vous vous attendez à ce qu’il diffère du français des principales villes québécoises, et comment ?
TN: Le contexte dans lequel les variétés sont utilisées est différent ; nous pouvons alors nous attendre à des différences linguistiques, dues au bilinguisme. Cela étant dit, il existera toujours plus de similarités que de différences, étant donné qu’elles sont toutes les deux laurentiennes. Il est important d’étudier le français dans des contextes minoritaires pour une grande variété de raisons. D’abord, cela nous donne une idée de la langue des bilingues et cela donne de la crédibilité à leur variété. Les variétés minoritaires sont souvent stigmatisées si bien que réaliser des recherches aide à les légitimer et révèle aussi leurs complexités.
MI: Pourquoi est-il important d’étudier les variétés rurales et le français ontarien ?
TN: Je pense qu’il est en général important d’étudier les variétés minoritaires pour les raisons exposées ci-dessus. Ça leur donne une légitimité et ça fournit aussi des informations sur l’éventail de variations en français canadien. Une autre raison est que cela offrirait des ressources aux apprenants de langue seconde qui interagiront avec les Franco-Ontariens et que cela permettrait aussi au système d’éducation franco-ontarien d’établir jusqu’à quel point les variétés locales peuvent différer de la variété standard (c’est-à-dire celle utilisée dans les écoles).
MI: Pourquoi est-il important d’étudier les variétés rurales et le franco-ontarien et de quelle manière vous attendez-vous à ce qu’elles diffèrent du français québécois ? Qu’avez-vous trouvé ?
TN: J’imagine que l’aspect le plus important est que le bilinguisme est central à leur identité. Beaucoup de locuteurs ne se considèrent pas entièrement français ou anglais. En général ce statut est vu de manière positive. Je ne veux pas dire qu’ils ne sont pas compétents dans les deux langues, mais plutôt que leur identité inclut les deux simultanément. La notion d’identité a toujours à voir avec l’image que l’on se fait de soi lorsqu’on interagit avec les gens, et la façon dont on veut qu’ils nous voient. Par exemple, certains locuteurs utilisent des anglicismes intentionnellement lorsqu’ils parlent français afin de rappeler à leur auditeur qu’ils sont bilingues.
MI: Quel est l’état de santé général du français à l’extérieur du Québec ? D’après vous, quelle est la meilleure façon de promouvoir l’usage du français au Canada, en dehors du Québec ?
TN : Le français est plutôt bien soutenu au niveau institutionnel. Néanmoins les francophones monolingues sont effectivement rares. Les écoles d’immersion sont extrêmement efficaces et dans certaines régions, elles aident à maintenir le français. Idéalement, les francophones devraient toujours avoir leurs propres écoles. Cependant, des facteurs pratiques, c’est-à-dire financiers, limitent cet idéal. Les écoles d’immersion représentent le meilleur second choix. La clé pour promouvoir l’usage du français en dehors du Québec est de pouvoir accéder à l’éducation et aux événements culturels. Il est aussi important d’avoir des médias en français qui peuvent rassembler les membres de la communauté.
MI: Vous avez beaucoup travaillé sur les communautés francophones minoritaires; comment la composition de la population d’une ville affecte-t-elle l’usage du français et le style des locuteurs?
TN: De manière générale, plus il y a de francophones au niveau local, plus la sorte de français parlé ressemble à celui des francophones monolingues du Québec. En outre, les locuteurs dans de telles communautés ont une meilleure compréhension des deux registres formel et informel. Lorsqu’il y a peu de francophones, l’école devient le lieu principal où le français est utilisé, plus formellement, si bien que des variantes informelles se perdent en chemin.
MI: Pour finir, y a-t-il une conception des francophones hors-Québec que vous aimeriez clarifier ou changer?
TN: Certaines personnes croient que les locuteurs en minorité ont une mauvaise maitrise de l’anglais et du français à la fois. Cela révèle, par contre, une mauvaise compréhension de ce qu’est le bilinguisme et des variétés non-standards.
Concernant les études et les discussions autour de l’éducation en langue française dans beaucoup de provinces à part le Québec, il est attendu que les élèves des écoles d’immersion française apprennent et sachent parler la variante québécoise du français, même s’ils parlent déjà couramment le français, une variante de l’Ontario ou des Prairies. Il y a eu beaucoup de discussions autour de/ sur l’importance de laisser les étudiants se sentir avalisés/ validés dans leur façon de parler leur propre variété de français. Dans presque toutes les communautés linguistiques, il existe une perception de la façon correcte de parler si bien que les autres dialectes ou accents sont considérés comme inferieurs. Le travail du professeur Nadasdi vise à corriger cette perception. En réalisant des recherches et des statistiques sur ces variétés de français, il y a des preuves scientifiques qui montrent que le français n’est ni inferieur à la moyenne ni de qualité moindre.
Cet effort est d’autant plus important que la langue fait partie intégrante de l’identité. Lorsque des francophones plus âgées sont interrogées pour savoir comment ils s’identifient, ils répondront probablement « français » ou « français-canadien ». Cependant, les locuteurs plus jeunes qui ont grandi en parlant les deux langues nationales, s’identifient maintenant souvent en tant que « bilingues ». Ils ont le sentiment que leur capacité à parler et le français, et l’anglais, n’est pas juste une capacité mais une partie de qui ils sont.
Un sincère merci au professeur Terry Nadasdi d’avoir pris le temps de répondre à mes questions et d’expliquer ce qu’est le français laurentien en dehors du Québec. Tout comme en anglais ou il y a eu des stéréotypes sur le dialecte des « valley girls » de Los Angeles, sur l’anglais du sud des Etats-Unis ou celui de Terre-Neuve, tous considérés comme moins intelligents, il existe aussi des stéréotypes concernant des accents français. Il est important de se souvenir que la façon de parler d’une personne n’a aucune portée sur la validité ou l’intelligence de ce qu’elle dit.
A tantôt, hein,
Michael Iannozzi
Merci bien à Floriane Letourneux aussi